


Au début du vingtième siècle eut lieu le combat farouche de l’Etat français athée et franc-maçon contre l’Eglise de France. En résulta la séparation de l’Eglise et de l’Etat.
Les religieux en grande quantité furent expulsés du territoire, mais ils se battirent comme des preux.
En témoigne l’énergique lettre, pleine de Foi, du Père Abbé des Chartreux, dont nous publions la Lettre au
« Petit Père Combes ».
Dom Chautard, quant à lui, intervint énergiquement face au « Tigre » Clémenceau. Ce dernier fut impressionné par la fougue de son interlocuteur. Les Trappistes ne furent pas exilés.
Nous avons ajouté, en troisième lieu, le texte de l'entrevue entre le Cardinal Pie et Napoléon III, du 15 mars 1859.
Beaux exemples de Foi !
Nous attendons de nos Pasteurs la même veine.
Qu'ils résistent aux chefs politiques avec respect sans doute, mais fermeté !
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Lettre du Révérend Père Général des Chartreux
à M. Émile Combes
Grande-Chartreuse, 12 avril 1903
MONSIEUR LE PRÉSIDENT DU CONSEIL,
Les délais que les agents de votre administration ont cru pouvoir fixer à notre séjour à la Grande-Chartreuse vont expirer.
Or, le premier, vous avez le droit d’apprendre que nous ne déserterons pas le poste de pénitence et d’intercession où il a plu à la Providence de nous placer.
Notre mission est ici de souffrir et de prier pour notre cher pays ; la violence seule arrêtera la prière sur nos lèvres.
Malheureusement, aux jours troublés où règne l’arbitraire, il faut prévoir les plus tristes éventualités.
Et comme, en dépit de la justice de nos revendications, il est possible qu’un coup de force nous disperse brusquement et nous jette même hors de notre patrie, je tiens dès aujourd’hui à vous dire que je vous pardonne, en mon nom personnel et au nom de mes confrères, les divers procédés si peu dignes d’un chef de gouvernement que vous avez employés à notre égard.
A d’autres époques, l’ostracisme ne dédaignait pas, comme aujourd’hui, les armes d’apparence loyale !
Toutefois, je croirais manquer à un devoir de charité chrétienne si, au pardon que je vous accorde, je n’ajoutais un conseil salutaire en même temps qu’un avertissement sérieux.
Mon double caractère de prêtre et de religieux m’autorise incontestablement à vous adresser l’un et l’autre, afin de vous arrêter, s’il vous reste encore quelque vestige de prudence, dans la guerre odieuse et inutile que vous menez contre l’Église de Dieu :
Donc, sur votre pressante invitation, et sur la production d’un document dont vous ne deviez pas, ce semble, ignorer la fausseté manifeste, une Chambre française a condamné l’Ordre dont Notre-Seigneur m’a établi le chef.
Je ne puis accepter cette sentence injuste ; je ne l’accepte pas ; et malgré mon pardon sincère, j’en demande la révision, selon mon droit et mon devoir, par le tribunal infaillible de Celui qui est constitué notre juge souverain !
En conséquence, — prêtez une attention particulière à mes paroles, Monsieur le Président du Conseil, et ne vous hâtez ni d’en sourire, ni de me considérer comme un revenant d’un autre âge, — en conséquence, vous viendrez avec moi devant ce tribunal de Dieu.
Là, plus de chantages, plus d’artifices d’éloquence ; plus d’effets de tribune, plus de manœuvres parlementaires ; plus de faux documents ni de majorité complaisante ; mais un juge calme, juste et puissant, et une sentence sans appel, contre laquelle ni vous, ni moi, ne pourrons élever de protestation.
A bientôt, Monsieur le Président du Conseil. Je ne suis plus jeune, et vous avez un pied dans la tombe.
Préparez-vous, car la confrontation que je vous annonce vous réserve des émotions inattendues.
Et pour cette heure solennelle, comptez plus sur une conversion sincère et une sérieuse pénitence que sur les habiletés et les sophismes qui ménagent vos triomphes passagers.
Et comme mon devoir est de rendre le bien pour le mal, je vais prier, ou, pour mieux dire, nous, les Chartreux dont vous avez décrété la mort, nous allons continuer de prier le Dieu des miséricordes que vous persécutez si étrangement dans ses serviteurs, afin qu’il vous accorde le repentir et la grâce des réparations salutaires.
Je suis, etc.
F. MICHEL,
Prieur des Chartreux.
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Joute serrée entre Dom Chautard et Georges Clemenceau
Une rencontre mémorable
Extrait d’une conférence donnée par Dom Chautard lui-même en 1931, relatant ses souvenirs de cette rencontre :
Dom Chautard se rend Rue Franklin. Introduit devant Clemenceau, il ne bronche pas sous le regard autoritaire, ironique, enfoncé dans l’arcade, qui le fouille de la tête aux pieds. Il est porteur d’un mémoire et, dès la première prise de contact, exprime le désir de comparaître à la barre des juges.
« Ne l’espérez pas, riposte Clemenceau. Ce n’est pas l’usage !
- Comment ! Vous prétendez nous condamner sans nous entendre ? Je puis vous prouver que, devant l’Inquisition, les accusés ont toujours eu le droit de se défendre.
- Eh bien, soit ! vous serez entendu. Je ne veux pas être pire que Torquemada.
- Ce n’est pas tout. Je vous demande de m’indiquer, après avoir lu ce court mémoire, sur quels points vous m’attaquerez devant la commission. Je ne me sens pas de taille à répondre à l’improviste à un homme tel que vous.
- Soit ! Revenez dans trois jours. »
Trois jours après, je reviens.
« Refaites votre mémoire. Citez bien haut les services que vous avez rendus comme agronomes, surtout en pays de mission et en Algérie ; mais supprimez cette première partie où vous étalez fièrement que vous êtes des moines : c’est inutile et imprudent.
- Pardon Monsieur le Président, je ne puis accepter de cacher notre drapeau, ce serait déloyal. Nous ne sommes que secondairement des agriculteurs et des missionnaires : avant tout nous sommes des moines. Si on veut nous autoriser, il faut que ce soit sans abstraction de notre caractère de moines. »
Alors commence un persiflage en règle. Dans ce genre, qui aurait pu lutter avec Clemenceau ? Il tourne en ridicule et la vie contemplative, et ces moines célébrant leurs offices auxquels personne n’assiste ou poursuivant leurs études sans vue d’apostolat. La diatribe, violente et spirituelle à la fois, est hachée par des apostrophes personnelles :
« Pourquoi donc vous êtes-vous fait moine et non pas missionnaire ? Je l’aurais compris. Mais moine ! moine ! moine ! » Et l’attaque passionnée reprend…
Je rongeais mon frein, plus fier que jamais d’être moine, en voyant que, sous ces flots de critiques, il n’y avait que préjugés et ignorance de ce qu’est un vrai moine.
Il me lance soudain un phrase tellement blessante que je me lève :
« Monsieur, c’est vous qui m’avez invité à revenir aujourd’hui. Si j’avais pu prévoir que vous violeriez ainsi les lois de l’hospitalité en manquant à la courtoisie, je ne serais pas venu. Je me retire déçu et attristé. Faites ce que vous voudrez contre nous. Mais rien de ce que vous venez de me dire ne me fait regretter d’avoir choisi la vie monastique. Rien : Au contraire.
- Au contraire ?
- Oui, au contraire. »
Il me força à me rasseoir. Puis d’un ton calme et poli :
« Je vous demande, dit-il, de m’expliquer cet au contraire. Dites-moi pourquoi vous êtes si satisfait d’être trappiste.
Qu’est-ce qu’un trappiste ? »
Après une brève prière pour être assisté de l’Esprit Saint, Dom Chautard enchaîne la défense improvisée aux derniers mots de l’attaque.
« Toutes les objections que vous venez de faire, je les connaissais. Les lazzis que vous m’avez décochés ne valent pas une preuve. Vous-même, j’en suis persuadé, vous n’en êtes pas dupe. Ma conviction, au lieu d’être ébranlée, n’en est donc que fortifiée. Mon idéal m’est plus cher que jamais. »
L’illustre duelliste avait promis de ne pas intervenir. Il tint parole. Pendant une demi-heure Dom Chautard présenta sommairement la vie monastique cistercienne.
« Une religion qui a pour base l’Eucharistie doit avoir des moines voués à l’adoration et à la pénitence » : voilà de quoi conclure à la raison d’être des cisterciens.
Quand j’eus fini, j’étais haletant, tellement j’avais mis de cœur à défendre notre idéal. Jamais sans doute, je ne fus aussi ardent, aussi pressant, aussi persuasif… Le Président était visiblement ému. Il se leva, et me secouant vigoureusement le poignet :
« Dites cela devant la Commission. J’ai compris l’idéal d’un moine. Je ne suis pas chrétien ; mais je comprends, lorsqu’on l’est profondément, qu’on puisse être fier d’être moine. Un Parlement français n’a pas le droit de mettre à la porte de vrais moines qui, dans leurs cloîtres, restent étrangers à la politique. A partir d’aujourd’hui, considérez-moi comme votre ami ! »
La rencontre avec la commission eut effectivement lieu, mais Dom Chautard n’avait plus la même verve. Clemenceau le lui dit après : « Vous nous avez certainement intéressés. Mais non ! ce n’était plus cela. »
Le résultat n’en fut pas moins acquis.
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C'est le plus beau titre de gloire d'un homme,
que d'avoir lié sa pensée profonde à un dogme et sa vie entière à une cause :
l'évêque du règne de Jésus-Christ.
Cet évêque : le Cardinal Edouard PIE
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Chanoine Etienne CATTA
La doctrine politique et sociale du Cardinal Pie
Ch. 13 - p. 301-304
Audience du 15 mars 1859 avec Napoléon III
L’EVEQUE, L’EMPEREUR ET LA QUESTION ROMAINE
Ce moment approchait où l’Empire allait prendre ce parti contre lui-même.
Ce sont d’abord les prodromes de la guerre contre l’Autriche. L’altercation inopinée faite à l’ambassadeur de ce pays par l’Empereur en pleine réception diplomatique du premier janvier 1859 ; la publication successive des brochures, celle notamment de M. de la Guéronnière sur Napoléon III et l’Italie, dont l’inspiration officieuse était évidente.
Mgr Pie prit les devants pour une nouvelle audience à laquelle des avances, des paroles bienveillantes de la part de l’Empereur assuraient un accueil favorable. Cette audience va lui donner l’occasion de la plus solennelle profession de foi, du plus bel acte de courage qu’il ait jamais accompli ; ce jour-là plus que tout autre, 15 mars 1859, il prit figure de Père de l’Église.
L’audience dura cinquante-cinq minutes. L’Empereur avait porté lui-même dès le début la question sur le terrain politique. Il écartait les interprétations fâcheuses touchant son intervention en Italie ; il ne voulait que du bien au gouvernement pontifical, « le rendre plus populaire, montrer à l’Europe que la France n’avait pas entretenu à Rome une armée d’occupation pour y consacrer des abus ».
Mgr Pie demanda de s’exprimer avec franchise ; Napoléon III acquiesça, bien éloigné de s’attendre à l’argumentation qui allait l’acculer :
« Puisque Votre Majesté daigne entendre ce que je pense, dit l’évêque, elle me permettra de m’étonner du scrupule qui lui fait craindre de passer pour avoir consacré des abus, par la présence de notre armée d’occupation à Rome. Certes, je n’ignore pas qu’il se glisse des abus partout ; et quel gouvernement peut se flatter d’y échapper ? Mais j’ose affirmer qu’il n’en existe nulle part de moins nombreux que dans la ville et dans les États gouvernés par le Pape. Que Votre Majesté veuille bien se rappeler, par contre, Constantinople et la Turquie, qu’elle compare et qu’elle me permette de lui demander ce qu’a fait là notre glorieuse expédition de Crimée ? N’est-ce pas là plutôt qu’à Rome que la France serait allée pour maintenir des abus ? »
Le secrétaire de Mgr Pie, qui écrivit sous sa dictée le récit de l’audience, rapporte qu’à ce moment « les yeux de l’Empereur, d’ordinaire à demi-fermés, se levèrent un instant sur son audacieux interlocuteur » :
« Ah ! Sire, lorsqu’on se rappelle que, pendant onze siècles, la politique de l’Europe chrétienne fut de combattre le Turc, comment n’éprouverait-on pas quelque étonnement de voir le souverain d’un pays catholique se faire le soutien de la puissance ottomane et aller, à grands frais, assurer son indépendance ? Or, ne suis-je pas fondé à dire que c’est, par là-même, assurer des abus ? Car enfin, qui protégeons-nous ? Il y a, à Constantinople, un homme, ou plutôt un être que je ne veux pas qualifier, qui mange dans une auge d’or deux cents millions prélevés sur les sueurs des chrétiens. Il les mange avec ses huit cents femmes légitimes, ses trente-six sultanes et ses sept-cent-cinquante femmes de harem, sans compter les favoris, les gendres et leurs femmes ? Et c’est pour perpétuer et consolider un tel état de choses que nous sommes allés en Orient ! C’est pour en assurer l’intégrité que nous avons dépensé deux milliards, soixante-huit officiers supérieurs, trois cent cinquante jeunes gens, la fleur de nos grandes familles, et deux cent mille Français. Après cela, sommes-nous bien venus à parler des abus de la Rome pontificale ? »
Pendant ce discours, l’Empereur tordait ses longues moustaches, et l’évêque observait qu’il les tirait plus bas à mesure que la question devenait plus embarrassante.
Mgr Pie poursuivit :
« Excusez-moi, Sire ; mais à ce Turc, non seulement nous avons dit : Continue à te vautrer comme par le passé dans la fange séculaire... je ne souffrirai pas qu’on touche à ton Empire. Mais nous avons ajouté : grand Sultan, jusqu’à présent, le souverain de Rome, le Pape, avait présidé aux conseils de l’Europe. Eh bien, nous allons avoir un Conseil européen ; le Pape n’y sera pas ; mais tu y viendras, toi qui n’y étais jamais venu. Non seulement tu y seras, mais nous ferons devant toi le cas de conscience de ce vieillard absent ; et nous te donnerons le plaisir de nous voir étaler et soumettre à ton jugement les prétendus abus de son gouvernement.
En vérité, Sire, n’est-ce pas ce qui s’est fait ?... »
Il était difficile de poser avec plus de réalisme le cas de cette sécularisation flagrante de la politique européenne, traduite par le Congrès de Paris.
L’Empereur, en voyant l’animation de l’évêque, s’était rapproché de lui... Il écoutait avidement, se passant la main sur le front.
Il fit prendre soudain à la conversation un autre tour :
« Mais enfin, Monseigneur, n’ai-je pas fait suffisamment mes preuves de bon vouloir envers la religion ? La Restauration elle-même a-t-elle fait plus que moi ? »
Cette parole allait faire monter l’évêque aux grands aperçus de sa politique chrétienne en visant tout droit aux principes qui l’éclairent :
« Je m’empresse de rendre justice aux religieuses dispositions de Votre Majesté, et je sais reconnaître, Sire, les services qu’elle a rendus à Rome et à l’Église, particulièrement dans les premières années de son gouvernement... »
Incise significative. Ce qui va suivre traduit l’indépendance supérieure de l’homme de Dieu :
« Peut-être la Restauration n’a-t-elle pas fait plus que vous. Mais laissez-moi ajouter que ni la Restauration ni vous n’avez fait pour Dieu ce qu’il fallait faire, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez relevé son trône, parce que ni l’un ni l’autre vous n’avez renié les principes de la Révolution, dont vous combattez cependant les conséquences pratiques ; parce que l’Évangile social dont s’inspire l’État est encore la Déclaration des droits de l’homme, laquelle n’est autre chose, Sire, que la négation formelle des droits de Dieu.
Or, c’est le droit de Dieu de commander aux États comme aux individus. Ce n’est pas pour autre chose que Notre-Seigneur Jésus-Christ est venu sur la terre.
Il doit régner,
en inspirant les lois,
en sanctifiant les mœurs,
en éclairant l’enseignement,
en dirigeant les conseils,
en réglant les actions des gouvernements comme des gouvernés.
Partout où Jésus-Christ n’exerce pas ce règne, il y a désordre et décadence.
Or, j’ai le devoir de vous dire qu’il ne règne pas parmi nous, et que notre Constitution n’est pas, loin de là, celle d’un état chrétien et catholique. Notre droit public établit bien que la religion catholique est celle de la majorité des Français ; mais il ajoute que les autres cultes ont droit à une égale protection. N’est-ce pas proclamer équivalemment que la Constitution protège pareillement la vérité et l’erreur ?
Eh bien, Sire, savez-vous ce que Jésus-Christ répond aux gouvernements qui se rendent coupables d’une telle contradiction ?
Jésus-Christ, Roi du ciel et de la terre, leur répond : « Et moi aussi, gouvernements qui vous succédez en vous renversant les uns les autres, moi aussi je vous accorde une égale protection. J’ai accordé une pareille protection à l’Empereur votre oncle ; j’ai accordé la même protection aux Bourbons, la même protection à la République et à vous aussi, la même protection vous sera accordée. »
L’Empereur arrêta l’évêque : « Mais encore, croyez-vous que l’époque où nous vivons comporte cet état de choses, et que le moment soit venu d’établir ce règne exclusivement religieux que vous me demandez ? Ne pensez-vous pas, Monseigneur, que ce serait déchaîner toutes les mauvaises passions ? »
L’évêque de Poitiers n’avait pas parlé de « règne exclusivement religieux », il avait seulement dégagé le droit divin qui devait dominer tout le règne ; mais l’essentiel de l’objection consistait dans cette opportunité toujours placée en avant. Il fit cette réplique solennelle :
« Sire, quand de grands politiques comme Votre Majesté m’objectent que le moment n’est pas venu, je n’ai qu’à m’incliner, parce que je ne suis pas un grand politique. Mais je suis un évêque, et comme évêque, je leur réponds : le moment n’est pas venu pour Jésus-Christ de régner : eh bien ! alors, le moment n’est pas venu pour les gouvernements de durer. »