top of page

Petite histoire d'une longue histoire

Pierre Bonaventure

 

Dédié à tout-un-chacun en ce temps de confinement et de virus Corona


En 1990, Mgr Lefebvre rédige en quelques mois un ouvrage dense, sinon épais, qu’il considère comme son testament, l'Itinéraire spirituel à la suite de saint Thomas d’Aquin, à l'usage de ses prêtres, de ses séminaristes, des fidèles, et il donne la même année aux Sœurs de la Fraternité, quelques conférences retranscrites dans ce volume de la Petite histoire de ma longue histoire.

 

Une autobiographie donc, dans les grandes lignes, où le grand évêque s'exprime en quelques paroles sobres, où l'on peut essayer de saisir son esprit, son caractère, sa démarche...

Le fil conducteur en est l'application à sa vie des voies de la Providence, et la conclusion qu'il est bon de s'en remettre totalement à Elle pour plaire au Bon Dieu [1]. C'est d'ailleurs ce qui étonne, que ce nouvel Athanase n'ait jamais manifesté de hautes ambitions et, sa vie le montre, les eût volontiers laissées à autrui. Aimer Dieu, Le connaître, Le servir dans la prière, au service du prochain, en paroisse, dans le quartier, entrer dans la vie religieuse, être frère et non pas prêtre, voilà au départ le jeune Lefebvre.

Il déclinera tout autant, 60 ans plus tard, l'hégémonie de l'opposition à l'Église conciliaire que Paul VI lui attribue en même temps qu'il demande, ''au nom de la Tradition..., à tous (ses) fils, à toutes les communautés catholiques, de célébrer, dans la dignité et la ferveur, la liturgie rénovée '' (24 mai 1976), cette liturgie appauvrie et incertaine, abandonnée à la créativité des célébrants.

[1] Sauf indication contraire, les phrases ou les mots en italique sont extraits de l'ouvrage.


Naissance dans un foyer profondément chrétien


Un foyer près de l'église paroissiale, où l'on prie, où l'on travaille, où les enfants viennent, en 1903, 1904, Marcel en 1905 (l'année de la Séparation de l'Église et de l'État, celle de l'apostasie consommée du peuple français), en 1907, en 1908, deux naissances encore après la guerre.

Les jeunes gens, actifs dans les bonnes œuvres, présentés l'un à l'autre par les familles, se plaisent, se marient, et poursuivent une vie laborieuse dans l'usine familiale. L'industrie textile alors puissante, assise sur le bloc charbonnier de l'Angleterre à la Ruhr, dispose d'une population nombreuse, de l'énergie, de ports pour le transport des matières premières et des produits finis.

Les parents, les enfants en âge communient chaque jour à une époque où la communion se donne de ¼ d'heure en ¼ d'heure à partir de 5h15 aux personnes qui ne peuvent rester à la messe.

Puis la guerre, Marcel a 9 ans, Une chose épouvantable que des guerres comme celles de 1914-1918. Épouvantable ! (C'est de plus la guerre démocratique qui engage toutes les forces du pays.)

Départ des hommes, des maîtres d'école, des vicaires, mobilisation des femmes pour l'industrie de guerre allemande, recherche par les Allemands des stocks de laine murés. C'est le départ pour la France de l'intérieur du père, poursuivi parce qu'il aide les prisonniers en fuite, l'inscription de l'aîné, René, à Versailles, l'appel de celui-ci au sacerdoce et le choix du séminaire français de Rome sur les instances de son professeur, l'emprisonnement de Mme Lefebvre contractant en prison une décalcification de la colonne vertébrale qui la tiendra étendue plusieurs années après la guerre. Tout cela est dit bien sobrement...

Mgr Lefebvre note comment les aînés ont été marqués par l'horreur de la guerre, tel le retour des morts et blessés, allemands car le Nord est en territoire envahi, la cruauté, la brutalité, les blessures, les séparations, les souffrances morales. En même temps, grande ferveur, chapelet, salut quotidien dans l'église pleine...

Mgr Lefebvre voit le cheminement de la Providence au travers de la guerre qui a contraint son père à se réfugier à Versailles, à inscrire son fils au séminaire du lieu où enseigne un prêtre de formation romaine, la décision d'envoyer René à Rome lorsqu'il exprime son désir d'être prêtre : la Providence a ménagé l'avenir au milieu des bouleversements dus à l'inconscience des Européens.

*********

Au séminaire français de Rome

Le Séminaire français confié aux Pères du Saint-Esprit est une révélation pour Marcel Lefebvre, une lumière pour toute (sa) vie sacerdotale et épiscopale. Le Supérieur, le père Le Floch explique la Révolution française au regard de l'enseignement de l'Église exprimé dans les encycliques, montrant comment il fallait juger l'histoire, comment il fallait juger les évènements, où étaient les erreurs, où était la vérité, comment il fallait penser.

Aussi s'interroge-t-on sur l'enseignement reçu jusqu'alors par Marcel Lefebvre qui dira, en conférence spirituelle, en 1976, avoir été libéral sans le savoir : '' … Je n'avais pas auparavant mesuré l'enjeu de ce combat de l'Église pour l'Église et la chrétienté. Je me souviens ... d'être arrivé au séminaire avec des idées qui n'étaient pas exactes, que j'ai réformées au cours de mon séminaire. Je croyais, par exemple, qu'il était tout à fait excellent que l'État fût séparé de l'Église.'' [2]

Comment sa conversion intellectuelle s'est-elle opérée ? ... J'écoutais … mes confrères aînés, ... leurs réactions et surtout ce que mes professeurs et supérieurs m'ont appris. Et je me suis aperçu que j'avais beaucoup d'idées fausses, en effet ... J'étais heureux d'apprendre la vérité, heureux d'apprendre que j'étais dans l'erreur, qu'il fallait que je change ma conception de certaines choses, et cela surtout en étudiant les encycliques des papes qui nous montraient, justement, toutes les erreurs modernes, ces magnifiques encycliques de tous les papes jusqu'à saint Pie X et au pape Pie XI.

C'est lorsqu'il accomplit son service militaire (1926-1927) que le sort du père Le Floch va se jouer. En novembre 27... rentré du service ..., on m'a donné des détails absolument scandaleux sur la manière dont le père Le Floch a été éliminé. Pourquoi ? Parce que tous ces francs-maçons..., tous ces libéraux..., craignaient que ... les prêtres formés par le Père Le Floch à la Vérité, au combat contre l'erreur, contre le Mal, contre Satan, deviennent évêques.

Le Cartel des Gauches, vainqueur des élections de 1924, n'obtiendra ni la fermeture de notre ambassade auprès du Saint-Siège, ni l'application en Alsace-Moselle de la loi de Séparation, mais à la Chambre, Édouard Herriot incrimine le Séminaire français de Rome à une date où il forme la plupart des évêques. Sans doute aussi, beaucoup de personnalités catholiques, qui ne sont point du granit dont est fait le Breton Le Floc'h, inclinent vers l'esprit du jour, un certain libéralisme s'accommodant de modernisme.

Mgr Lefebvre note qu'au père Le Floch succède un homme à double face, d'apparence traditionnelle, mais en même temps très coulant et donne cet avis qu'il nous faut faire nôtre : L'ambiance du monde, le milieu du monde, le milieu libéral dans lequel on vit d'une manière générale, est comme un empoisonnement lent mais sûr. Il note encore la faiblesse de l'homme chez Pie XI qui en baissant la garde entraîne la perte des Cristeros. C'est le même combat aujourd'hui contre la FSSPX, une FSSPX moins vigilante...

Le jeune prêtre, ordonné en 1929 et affecté dans la banlieue lilloise, confie à sa mère : ''Maman je ne serais jamais plus heureux qu'ici.'' ''Mais je me sentais insatisfait... A Rome, j'avais reçu des principes et je ne les voyais guère appliqués..., libéralisme, laïcisation, séparation de l'Église et de l'État, ils acceptaient tout cela'' [3] . Cette vie de curé dévoué à sa paroisse est toute son ambition, il réfléchit cependant au plus glorieux pour Dieu, lui qui a le désir depuis le séminaire de faire des sociétés catholiques, et qui observe qu'à Lille, ce n'était pas ça. Il conclut : ''En Afrique je me donnerai davantage''. [4]

[2] Marcel Lefebvre : Une vie, Bernard Tissier de Mallerais.

[3] Conférence de Mgr Tissier de Mallerais (2020). Séparation, nous le notons, si vite acceptée et passée par pertes et profits.

**********

Religieux et missionnaire

Entre une paroisse où il n'est pas nécessaire, et les appels de son frère qui le bombarde de lettres [4], l'abbé Lefebvre fait un choix de raison. Sans doute a-t-il prié pour connaître la volonté divine, et cherché la voie la plus méritoire : le diocèse le libère, les Pères du Saint-Esprit l'accueillent.

Noviciat à Orly, quelque 80 novices, profession le 8 septembre 1932, arrivée au Gabon après une traversée de 15 jours, professeur puis directeur du Séminaire où il enseigne une trentaine de jeunes Africains, les premiers prêtres du Gabon, ses futurs évêques. Le moment venu, le souvenir des abbés Lefebvre facilitera l'implantation de la Fraternité.

Beaucoup de jeunes prêtres meurent des maladies tropicales. Le père René est malade dès la 2ème année, et le père Marcel, au bout de la 6ème année, est pratiquement à moitié mort. Il part se reposer à l'intérieur puis c'est en 1939 le retour en métropole, la marine escortant les convois car c'est la guerre. Départ comme civil - J'ai eu juste le temps de voir mon père quelques jours, et puis mes frères et sœurs qui étaient là, retour comme soldat, démobilisé à Libreville.

Mgr Lefebvre note simplement : Nous avons eu beaucoup de souffrances parce qu'il y a eu l'invasion du Gabon par les troupes du général De Gaulle, assisté par les Anglais, ce qui nous a amené … des communistes et des bagnards... un très mauvais exemple (pour les) indigènes qui voyaient les Français se battre entre eux.

C'est la division entre quelques centaines de Français s'entretuant dans la guerre civile soutenue par l'Angleterre, l'insoumission prêchée, la petite garnison loyaliste de Lambaréné, peu armée, pilonnée, l'un des obus tuant l'aumônier, le père spiritain Talabardon, l'internement quelques semaines de Mgr Tardy favorable sans détours à l'autorité du maréchal Pétain investi de la confiance du pays, l'effet déplorable sur les autochtones, le Gabon passé à la dissidence, le bataillon des bagnards, l'année suivante, des relégués, internés de Guyane recrutés par un officier français assisté d'un officier anglais. [5]

L'espace de quelques lignes, mettons en regard l'œuvre de ces Français du Nord, De Gaulle, Lefebvre, l'aîné, d'une famille catholique et patriote, le cadet, d'une famille profondément catholique et patriote, le premier pour qui ''La perfection évangélique ne conduit pas à l'Empire'', pour qui ''L'homme d'action ne se conçoit guère sans une forte dose d'égoïsme, d'orgueil, de dureté, de ruse [6], le politicien habile qui en fin de compte, laisse son pays bien plus petit qu'il ne s'en est emparé, le second doux, persévérant, discret, dont la tendance profonde n'est pas de se mettre en avant, et qui transmet tout ce qu'il a reçu.

[4] Conférence de Mgr Tissier de Mallerais (1er avril 2020)

[5]  En septembre 40, un coup de main sur Dakar du général De Gaulle appuyé par la flotte anglaise qui, deux mois plus tôt a coulé, à Mers-el-Kébir, une partie de la flotte française au mouillage, échoue par le loyalisme du gouverneur Pierre Boisson défendant le strict intérêt français. La dissidence l'emporte en AEF, par les armes et l'appui anglais.

[6]  Le Fil de l'Épée 1932

 

**********

L'épiscopat

Puis c'est le rappel en métropole, en 1945. Mgr Lefebvre note : J'en aurais pleuré..., ma mère était morte, mon père aussi en camp de concentration, mes frères et mes sœurs … étaient bien établis, je voulais rester là au Gabon définitivement sans jamais plus rentrer en France... cela a été pour moi une grosse, grosse épreuve.

Il devient le supérieur du séminaire des Pères du Saint-Esprit, au scolasticat de Mortain, cent-dix élèves pour deux années de philosophie..., de bons jeunes gens qui sortaient du noviciat, par conséquent encore remplis du zèle du noviciat dans une Normandie largement bombardée par les Américains, la ville même en grande partie détruite lors des combats. Il ne dit pas aux sœurs tout ce que le séminaire et les scolastiques durent au supérieur battant la campagne pour le ravitaillement comme pour les équipements les plus nécessaires à la vie civilisée. ''On sentait … qu'il nous aimait'', écrit un ancien. [7]

Mgr Lefebvre est nommé en 1947 Vicaire apostolique de Dakar (Vicaire apostolique du Gabon - je ne tenais pas du tout à être vicaire apostolique ou à être évêque -, j'aurais compris (mais) A Dakar ! Mgr Le Hunsec a dit : '' Vous êtes religieux, vous devez obéir ''. Il est sacré le 18 septembre 1947 à Tourcoing et nommé l'année suivante Délégué apostolique en charge avec le pape de tous les diocèses de langue française en Afrique. Vous n'allez pas refuser çà, c'est un honneur pour la Congrégation, nous n'avons jamais eu de Délégué apostolique !

Il représente le Pape auprès de plus de deux millions de fidèles de l'Empire français en Afrique et à Madagascar, il a rang de nonce apostolique, poste qui lui confère la dignité d'archevêque. Il a 42 ans.

L'évêque est présent à son diocèse malgré l'étendue de ses charges de Délégué, le clergé progresse sous son épiscopat en nombre, y compris les prêtres, les frères, les religieuses d'origine africaine, les paroisses passent de deux à neuf, les églises de trois à treize, une école est créée qui comptera 900 garçons, primaire et secondaire (les filles disposaient déjà de quatre institutions).

D'une doctrine ferme, exigeant pour lui-même, tolérant ce qui est sans inconvénient majeur pour la vie sacerdotale ou religieuse, ascète discret, il sait que la grâce passe par les efforts des hommes, que le progrès du royaume ce Dieu dans les âmes vient du sacrifice de soi, de la prière, du zèle apostolique, il dirige son clergé, le réunit, lui prêche des retraites comme aux fidèles de quelque responsabilité. D'un commun avis, Dakar est un exemple pour ses confrères dans l'épiscopat.

Chaque année, le délégué apostolique rend compte au pape et reçoit ses directives, et connaît ainsi les rouages de la Curie romaine et les hommes, tel Mgr Montini, à la Secrétairerie d’État, qui le reçoit aimablement mais sans sympathie.

Après l’élection de Jean XXIII qu'il a connu nonce à Paris, il est relevé de sa charge et maintenu à Dakar. Puis les grandes puissances, États-Unis en tête, insufflent l'esprit de l'indépendance à l'Afrique, l'amitié affichée entre les anciens alliés n'effaçant pas l'attrait des richesses du continent noir et l'appétit de domination. Les Européens vont imposer l'indépendance, entre autres pays au Gabon qui ne la voulait pas, et l'Église substituer aux évêques blancs des évêques noirs : ceci, Mgr Lefebvre y avait songé longtemps auparavant, mais il juge l'indépendance prématurée dans l'intérêt même des Africains.

La politique de Léopold Sédar Senghor, catholique pratiquant tendance Teilhard, entre deux-eaux, la religion qu'il professe, la doctrine socialiste étatique qu'il inspire sous le voile d'une voie africaine, à quoi l'évêque oppose la doctrine de l'Église et son refus de constater la nullité de son mariage, vont hâter le départ de Mgr Lefebvre. Le pape le nomme en 1962 évêque de Tulle, un ''petit diocèse'' qui l'exclut de l'Assemblée des cardinaux et évêques selon l'exigence que ceux-ci ont formulée, un diocèse à l'abandon, moins de prêtres, peu ou pas de vocations, retrait des religieuses, fermetures d'écoles religieuses...

L'évêque visite son clergé, trace un programme de redressement, mais quitte le diocèse six mois plus tard, en août quand il est élu, à son corps défendant, Supérieur général des Pères du Saint-Esprit.

[7]  Marcel Lefebvre : Une vie, B. Tissier de Mallerais, page 156.

**********

 

 

La révolution conciliaire

Quand la direction d'une congrégation internationale requiert toute sa puissance de travail, transfert de la Maison-Mère de Paris à Rome sur les instances du chapitre général, déménagement dans Paris de la Maison provinciale, déplacements internationaux, un petit groupe intellectuel..., progressiste, moderniste et déterminé conduit par le père Philippe Lécuyer [8]  travaille à son éviction. Mgr Lefebvre le note, comme le Concile en définitive était en leur faveur, il faut bien le dire, ils se sont trouvés réconfortés et ils en ont profité pour faire une propagande à l'intérieur..., pour l'adaptation, l'aggiornamento … et tout ce qui s'ensuit... Après quelques avanies et manœuvres subversives auxquelles Rome ne réagit pas, il résigne sa charge de Supérieur général (28/10/68) pour ne pas cautionner la démolition de la congrégation, et, une petite valise à la main, prend pension à la villa Lituania, tenue par des religieuses dépendant du séminaire des Lituaniens.

C'est la seule mention dans ces conférences du concile, dont les Souverains Pontifes avaient jusqu'alors été dissuadés par les voix les plus autorisées, le Cardinal Billot prévoyant un appel d'air pour les modernistes.

 

Jean XXIII peu sur ses gardes, ou plutôt libéral, moderniste dans sa jeunesse, soutint les théologiens progressistes (si les deux termes ne s'opposent pas) contre les évêques soucieux autant d'améliorations pratiques (Mgr Lefebvre ne s'oppose pas au port plus généralisé du clergyman) que du combat contre la subversion et la formation appropriée qu'il requiert. Très vite, l'opposition se fait sur la messe et le sacerdoce. On le sait, les premiers emportèrent la partie au sein d'une Église dès longtemps ébranlée.

[8] Le Père Joseph Lécuyer (1912-1983), d'une famille bretonne de notables où l'on compte un missionnaire et le deuxième évêque du Gabon, au noviciat d'Orly à 18 ans, prêtre en 1936, intellectuel brillant, directeur du Séminaire français à Rome en 1938, mobilisé en 1940, professeur de théologie, en dernier lieu au scolasticat de Chevilly. En 1945 à Rome, où il est ''appelé aux plus hautes fonctions'' dans la Congrégation, d'abord directeur spirituel au Séminaire français durant 17 ans alors qu'il publie, entre autres, Le sacerdoce dans le mystère du Christ, ouvrage aventuré.

Expert des Commissions pré-conciliaires, puis du Concile, consulteur ensuite du consilium pour la réforme de la Liturgie, de la Congrégation pour la Doctrine de la Foi, de la Congrégation de l'évangélisation des peuples, de la Congrégation des Rites, il sut, selon la notice spiritaine, ''maintenir l'unité de la congrégation dans la fidélité au Concile et la communion au Pape dans une situation difficile''.

**********

La Fraternité

Ayant recouvré sa liberté d'action, il fait quelques travaux pour la congrégation de la propagande de la foi (pour l'évangélisation des peuples, depuis 1967). Des séminaristes, l'abbé Aulagnier, l'abbé Cottard, souffrant de l'indiscipline au Séminaire français à l'heure des innovations liturgiques, viennent à lui et le prient de s'occuper d'eux alors qu'il pense à la retraite après une si longue carrière.

Au début, le prélat facilite des contacts, avec le séminaire spiritain, à Fribourg, puis l'interdiocésain, mais ceux-là aussi font leur aggiornamento. A nouveau, des universitaires : le père Philippe O.P., Bernard Faÿ, chez qui ils se réunissent, le pressent d'agir. Mgr Lefebvre s'en remet à l'avis de son confrère de Fribourg, Mgr Charrière qui, le surlendemain 6 juin 1969, lui donne l'autorisation demandée.

Tout cela est narré à grands traits sans souci de tenir l'auditoire en suspens, l'accord inattendu de l'évêque du lieu alors que le vicaire qui le remplacera est tout-à-fait réticent, l'accueil le 13 octobre de neuf jeunes gens au 106 route de Marly, dans une maison salésienne où Mgr Lefebvre a loué des chambres pour l'année 1969/70. A défaut du concours désiré d'un prêtre aux convictions solides [9], il va devoir assurer seul la direction de ce scolasticat comme si la Providence l'entendait ainsi.

Puis la maladie du Fondateur le 8 décembre 1969, son indisponibilité heureusement compensée par deux religieux sinon par le prêtre qui le supplée à la tête de la communauté. Après nombre d'analyses inutiles, l'identification des parasites et le traitement achève une période douloureuse d'interrogation pour Mgr Lefebvre, à nouveau éprouvé à l'instar des grands serviteurs de Dieu.

Fin mai 1970, l'effectif de Marly est réduit au tiers et les Salésiens ne veulent plus héberger les lévites parce que Mgr Lefebvre ne célèbre pas le nouvel office. Ils seront logés dans une petite maison, route de la Vignettaz qu'un don permet d'acheter aux enchères, les instances des abbés Aulagnier et Tissier de Mallerais, en lesquelles l'évêque voit la volonté de la Providence, ont été décisives [10].  Puis onze demandes sont formulées pour la rentrée et il reçoit à Ecône d'anciens retraitants du Valais qui ont acheté l'ex-maison des chanoines du Grand Saint-Bernard afin d'y établir l'année de spiritualité en application du concile dans son décret sur la formation des prêtres.

Les effectifs vont s'étoffer : 27 recrues en octobre 71, 95 en 1973, 104 en 1974. Puis les turbulences de cette traversée au long cours qu'est sous le regard de Dieu l'aventure du séminaire, la déclaration du 21 novembre 1974, l’été chaud de 1976, la messe célébrée à Lille, plus encore à l’issue de l’année scolaire 1977, le choix cornélien entre le corps professoral, l'abbé Tissier de Mallerais excepté, et neuf séminaristes dont le renvoi est demandé parce qu'ils sont excessifs sinon sans qualités. L'expérience du Fondateur aura raison des professeurs, qu'il reçoit un à un, et qui peu ou prou rejoindront l'Église conciliaire comme quelques-uns des séminaristes. Mgr Lefebvre en restera profondément affecté.

[9] Marcel Lefebvre : Une vie, B. Tissier de Mallerais page 437.

[10] Sermon de la messe pour le 20ème anniversaire de la FSSPX, le 1er novembre 1990.

**********


Epilogue

Le récit est si condensé que maint détail est oublié, qu'un conférencier habile eût développé à propos, ni le rêve prémonitoire de Dakar, ni le prélat rejeté par les siens, seul dans Rome une valise à la main alors qu'il va bientôt entrer dans l'histoire, ni l'opération de survie que les sacres ont été...

Issu par ses parents de la bourgeoisie tourquennoise laborieuse qui a donné à l'Église de nombreux prêtres et religieux, les laïques se distinguant par leur exemplarité dans le tiers-ordre franciscain, Marcel enfant rayonne, au témoignage de sa sœur carmélite, du sens du devoir. En 1917, il quittera la maison avant la levée du couvre-feu pour servir la messe de 6 heures.

Bon en tout, gymnastique comprise, assidu à la Congrégation de la Sainte Vierge, de grande maturité, il a le sens de ce qui est dû au bien commun, sans nulle fausseté ; il s'attache moins, au cercle d'études Ozanam adjoint à la Congrégation, à discuter des questions du jour traitées selon l'esprit du monde, qu'à la Conférence Saint-Vincent de Paul, où, son ingéniosité aidant, il est la providence des démunis.

Capable de réaliser une installation électrique à partir d'un manuel et de maints autres travaux auxquels s'ajoute le sens du commerce, boute-en-train à l'occasion, ce futur docteur en philosophie, en théologie, fait pour l'action, a tous les dons. Sa vocation n'est du reste pas une exception à l'Institut du Sacré-Cœur de Tourcoing, la moitié des élèves de sa classe en ces années 1922-1923 répondront à l'appel divin.

''Le bon Dieu avait doté Marcel d'un tempérament des plus équilibrés, des plus paisibles dans une force d'âme peu ordinaire'', dit sa sœur carmélite [11], toutes dispositions qu'a épanouies un foyer stable où les enfants, au travers d'épreuves courageusement acceptées, croissent dans la vérité.

Marcel Lefebvre, doté de tant de qualités supérieures et plutôt porté à la méditation, aura été un chef, il en a manifesté l'autorité exprimée dans la douceur, la capacité à anticiper, le sens de l'organisation, la faculté d'adapter le but aux moyens, il sait trancher, s'il le faut, à l'avantage des principes avec l'amabilité qui est possible, et un chef qui sut obéir jusqu'au jour où il devint patent que Rome n'avait plus la foi.

Ce qui lui aura fait défaut, c'est le manque d'hommes, de chefs. ''Les scolastiques étaient mes frères, dit un directeur de séminaire, qui savait l'avoir déçu, pas mes inférieurs'' [12]. Propos hors de sujet : celui qui est investi d'une autorité doit diriger et former parce qu'il a la charge, la science, l'expérience, et pour lui la volonté de Dieu, car de Qui est cette parole rapportée par saint Luc : ''Affermis tes frères'' ?

Cette crise de l'autorité fait suite à celle de la foi si vite décelée par Mgr Lefebvre. Des conférenciers éminents relatant les cinquante années passées s'abstiennent à l'évidence d'évoquer l'avenir de leur société alors que la question est moins la pertinence de l'œuvre accomplie que sa pérennité.

La Fraternité a accepté que soit substitué à l'un de ses évêques (Mgr Williamson), choisi par le Fondateur, à l'inverse de ceux dont le nom lui avait été proposé, et que distinguent sa culture et sa hauteur de vue, un évêque moderniste ultra-conformiste (Mgr Huonder), en contrepartie d'une inutile respectabilité de façade qui lui impose la restriction dans la parole et la critique mesurée alors que Rome s'enfonce toujours davantage.

L'ambiance du monde, le milieu du monde, le milieu libéral dans lequel on vit d'une manière générale, est comme un empoisonnement lent mais sûr.
 

[11] La Cloche d'Ecône, 25 mars 1996.

[12] Marcel Lefebvre : Une vie, B. Tissier de Mallerais page 368.


 

bottom of page