La femme revêtue du soleil
Dom de Monléon
Le sens mystique de l’Apocalypse
(Les Éditions Nouvelles, Paris, 1948 - p. 188-192 ; 206-208)
« Et un grand signe apparut dans le ciel ;
une femme revêtue du soleil, et la lune sous ses pieds,
et sur sa tête une couronne de douze étoiles. » Apoc. 12, 1
Commentaire
« Cette vision, dont la description proprement dite commence avec le chapitre douzième, s’amorce néanmoins avec le dernier verset du chapitre onzième, qui lui sert de préambule. Ainsi elle s’enchaîne étroitement à la vision précédente : l’auteur sacré, usant de la liberté coutumière au style prophétique, ramène sans transition le lecteur, de la fin du monde qu’il vient de lui faire entrevoir, au mystère de l’Incarnation et aux origines de l’Église : Et le temple de Dieu, dit-il, fut ouvert dans le ciel. Le temple de Dieu désigne ici mystiquement le mode selon lequel Dieu veut être adoré et servi par les hommes, par analogie avec l’édifice de pierre dans lequel se célèbre le culte divin. C’est à cette révélation d’un temple spirituel supérieur au temple de Jérusalem que Notre-Seigneur faisait allusion quand il disait à la Samaritaine : Femme, crois-moi, ce n'est plus à Jérusalem que vous adorerez le Père : mais l’heure vient, et c’est maintenant, où les vrais adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité... Car Dieu est esprit, et ceux qui l’adorent doivent l’adorer en esprit et en vérité (Jn. 4, 21 et suiv). Ainsi le temple de Dieu fut ouvert quand le Christ nous apprit à servir par amour, et à honorer dans le secret de notre cœur ce Dieu que les Juifs jusqu’alors n’avaient adoré que par crainte, et en lui offrant des sacrifices sanglants ; il fut ouvert dans le ciel, c’est-à-dire dans l’Église parce que ce culte spirituel lui appartient en propre et ne se trouve que chez elle.
Et l’arche d’alliance apparut au milieu du temple : l’arche d’alliance véritable, celle dont il est question ici et dont l’Ancien Testament ne connaissait que la figure, représente l’Humanité du Christ, où se trouve déposé le gage authentique de l’alliance du Créateur avec sa créature. L’Humanité du Christ apparut donc au milieu du temple, comme le centre du culte qu’il convient de rendre à Dieu ; comme la révélation essentielle, l’intermédiaire unique et nécessaire entre les hommes et leur Créateur ; comme le don du ciel par excellence, celui dans lequel le Père a mis toutes ses complaisances et dont il a fait l’exemplaire achevé de toute perfection. Dès que le Christ eut révélé à ses disciples le secret des divins mystère, ceux-ci se répandant à travers le monde, produisirent partout des éclats de tonnerre, des voix, des tremblements de terre, entendez qu’ils accomplirent des miracles stupéfiants, multiplièrent les prédications, ébranlèrent les hommes et les convertirent, tandis que se déchaînait contre eux une grêle abondante de persécutions.
Ainsi l’Église est fondée, et un combat à mort va s’engager entre elle et le démon pour la possession du genre humain, combat que saint Jean vit se dérouler symboliquement entre une femme et une bête. Un grand signe, dit-il, apparut dans le ciel : une femme revêtue du soleil, figure de l’Église, enveloppée tout entière dans le Christ qui est à la fois sa protection et sa parure, comme le vêtement l’est pour le corps.
Elle avait la lune sous ses pieds, parce qu’elle est supérieure à toutes les vicissitudes terrestres. La lune, qui sans cesse croît et décroît, est le symbole des choses humaines, qui toujours montent ou descendent. Rien n’est stable ici-bas : les institutions les plus vénérables, les fortunes les mieux assises, s’effritent peu à peu ou s’écroulent d’un seul coup ; d’autres se lèvent à l’horizon pour prendre leur place, qui, une fois établies, déclineront à leur tour : seule l’Église, fondée sur la pierre posée par le Verbe, demeure inébranlable au milieu de ce perpétuel mouvement de flux et de reflux. Elle porte sur sa tête une couronne de douze étoiles, la doctrine des douze apôtres, qui sertit tout ce qu’elle pense et tout ce qu’elle enseigne. Et, ayant dans son sein, c’est-à-dire dans son cœur, le désir du salut des âmes, elle criait dans les douleurs de l’enfantement, elle suppliait Dieu nuit et jour de l’aider à engendrer des âmes à la vie éternelle, et elle souffrait pour enfanter, s’adonnant à la pénitence, aux veilles, aux jeûnes, pour atteindre cette fin. »
La femme revêtue du soleil désigne aussi la Vierge Marie, irradiée par le Verbe dans le mystère de l’Incarnation ; et encore, au sens moral, toute âme sainte dans laquelle le Christ établit sa demeure.
Les douze étoiles qui font la couronne de la Vierge - et aussi, quoique à un degré beaucoup moindre, celle de ces âmes saintes - sont les douze fruits de l’esprit, tels que les énumère saint Paul dans sa lettre aux Galates, savoir : la charité, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la bonté, la longanimité, la mansuétude, la foi, la modestie, la continence, la chasteté. Portant elle aussi dans son cœur un ardent désir du salut des âmes, la Très Sainte Mère de Dieu gémissait à la pensée des souffrances qu’aurait à endurer son Fils pour opérer le salut du monde ; et elle était torturée par les douleurs de son enfantement : toute sa vie elle fut hantée par le spectre de la croix où son enfant devait être attaché un jour, et au pied de laquelle elle- même souffrirait les douleurs qui lui avaient été épargnées au moment où elle l’avait mis au monde.
Quant aux âmes saintes, elles portent dans le secret de leur cœur un désir de la vie éternelle qui les consume, qui les torture, qui leur fait pousser vers le ciel des cris suppliants, et, comme sainte Thérèse, « elles se meurent de ne pouvoir mourir ».