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Dies mali sunt.

« Rachetez le temps, car les jours sont mauvais », enseignait l’apôtre saint Paul (Eph. 5,16)

 

Cette série d’articles sera une sorte de compilation sur le sujet de l’antéchrist, en ces jours difficiles. L’apôtre des Nations, dont nous fêtons ce 25 janvier la conversion éclatante et miraculeuse nous fournit l’occasion de le citer (2 Thes. 2, 1-5).

A quelques jours à peine de la Nativité de Notre-Seigneur, c’est le jour du samedi des Quatre-Temps d’hiver que ce texte inspiré est cité dans l’épître du jour ; c’est la seule et unique fois d’ailleurs dans l’année liturgique que nous le lisons et méditons. Notre Sauveur, dès sa naissance parmi les enfants des hommes, n’est-il pas venu pour éradiquer le pouvoir sur les âmes, volé par le serpent et ses suppôts ? L’Incarnation est rédemptrice.

 

Le commentaire de ce passage choisi pour notre instruction sera celui de saint Thomas d’Aquin. Il est à noter que l’Aquinate précise bien la nature et le lieu de l’apostasie : « l’apostasie de la foi catholique dans l’Église romaine ».

 

Nous poursuivrons notre lecture avec les pensées clairvoyantes du Cardinal Pie, puis celles, plus récentes, de Dom de Monléon et du Père Calmel.

 

Nous achèverons notre méditation sur les paroles de Notre-Dame de La Salette, Mère de Dieu, ‘terrible comme une armée rangée en bataille’. Telle une Mère pour ses enfants, Elle avertit « les Apôtres des derniers temps, les fidèles disciples de Jésus-Christ qui ont vécu dans un mépris du monde et d'eux-mêmes, dans la pauvreté et dans l'humilité, dans le mépris et le silence, dans l'oraison et dans la mortification, dans la chasteté et dans l'union avec Dieu, dans la souffrance et inconnus du monde.

Il est temps qu'ils sortent et viennent éclairer la terre. Allez et montrez-vous comme mes enfants chéris ; je suis avec vous en vous pourvu que votre foi soit la lumière qui vous éclaire dans ces jours de malheurs. »

 

Abbé Dominique Rousseau

 

2 Thessaloniciens 2, 1-5 : L’Antéchrist, l’homme de péché

 

1. Or, nous vous conjurons, mes frères, par l’avènement de Notre Seigneur Jésus-Christ, et par notre réunion avec lui,

2. Que vous ne vous laissiez pas légèrement ébranler dans votre sentiment, et que vous ne vous troubliez pas en croyant sur la foi de quelque esprit prophétique, ou sur quelque discours, ou quelque lettre qu’on supposerait venir de nous, que le jour du Seigneur soit près d’arriver.

3. Que personne ne vous séduise en quelque manière que ce soit ; car ce jour-là ne viendra pas que la révolte et l’apostasie ne soit arrivées auparavant et qu’on n’ait vu paraître cet homme de péché qui doit périr misérablement ;

4. Qui s’opposant à Dieu, s’élève au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour Dieu.

5. Ne vous souvient-il pas que je vous ai dit ces choses, quand j’étais encore avec vous ?

 

 

Commentaire de saint Thomas d’Aquin

 

« Saint Paul, dans le chapitre qui précède, a expliqué ce qui doit arriver, quant à la punition des méchants et à la récompense des bons ; il annonce ici les périls qui attendent l'Église au temps de l’Antéchrist. Et d’abord il établit ce qui est vrai quant à ces périls futurs ; il recommande ensuite de ne pas s’écarter de la vérité sur ce point.

 

(…) "Il faut d’abord que l’apostasie se fasse, etc.," Saint Paul établit ici ce qui est vrai. En premier lieu, il explique ce qui doit arriver lors de la venue de l’Antéchrist. Il y aura deux événements, dont l’un précédera la venue de l’Antéchrist, l’autre sera la venue même de l’Antéchrist.

 

L’événement qui précédera est l’apostasie qu’on explique de diverses manières, dans la Glose. On dit d’abord que ce sera l’apostasie de la foi. La foi, en effet, dans les temps à venir devait être reçue dans le monde entier ; (Mt 24, 14) : "Cet évangile du royaume des cieux sera prêchée dans toute la terre." 

 

Voilà donc ce qui précédera, et suivant saint Augustin, cela n’est pas encore accompli. Mais le temps venu, un grand nombre se sépareront de la foi, etc. (I Tim. 4, 1) : "Dans les temps à venir, quelques-uns abandonneront la foi, etc." (Mt 24, 12) : "La charité de beaucoup se refroidira. "Ou bien, on peut entendre par séparation celle de l’empire romain, auquel l’univers entier était alors soumis. Saint Augustin dit que cette séparation est figurée au chapitre 2 du prophète Daniel, 31-35, par la statue qui désigne les quatre royaumes, et après ces quatre royaumes, arrivera l’avènement du Christ. Cette figure était pleine de vérité, parce que l’empire romain fut établi pour qu’à l’ombre de sa puissance, la foi fût prêchée dans tout l’univers.

 

Mais comment cela serait-il vrai, puisque depuis longtemps déjà les nations se sont séparées de l’empire romain, sans toutefois que l’Antéchrist soit encore venu ? Il faut dire que l’empire romain n’a pas cessé encore, mais que de royaume temporel qu’il était, il est changé en royaume spirituel, comme le pape saint Léon l’a remarqué dans son sermon sur les Apôtres. Disons donc que la séparation de l’empire romain doit être entendue, non pas seulement dans le sens temporel, mais dans le sens spirituel, c’est-à-dire de l’apostasie de la foi catholique dans l’Église romaine. Et le signe donné est de toute justesse, car de même que le Christ est venu au temps où l’empire romain dominait sur tous les peuples, ainsi, dans un sens opposé, le signe de la venue de l’Antéchrist sera la séparation des peuples d’avec l’empire romain.

 

L’Apôtre prédit le second de ces futurs événements, c’est-à-dire la venue de l’Antéchrist lui-même. Et d’abord en ce qui regarde son crime et son châtiment, ensuite quant à l’étendue de sa puissance ; (verset 9) : Celui qui doit venir, etc. Sur la première de ces questions, saint Paul indique d’abord en général et d’une manière implicite le crime et la punition de l’Antéchrist ; il explique ensuite l’un et l’autre (verset 4) : Qui s’opposant à Dieu, s’élève, etc.

Il dit donc (verset 3) : L’apostasie se fera donc d’abord, et on verra paraître, etc. L’Antéchrist est appelé l’homme de péché et le fils de perdition, dit la Glose, parce que de même qu’abonda dans le Christ la plénitude de la vertu, la multitude de tous les péchés abondera dans l’Antéchrist, et comme le Christ est au-dessus de tous les saints, l’Antéchrist est pire que tous les méchants. Voilà pourquoi saint Paul l’appelle l’homme de péché : c’est qu’il sera entièrement livré au péché. Toutefois, cette expression homme de péché, ne veut pas dire que l’Antéchrist ne pourrait pas être pire, car jamais le mal ne corrompt complètement le bien ; néanmoins, sous le rapport des actes, l’Antéchrist ne pourra pas devenir pire, tandis que nul homme ne saurait jamais dépasser en bonté Jésus-Christ. Il est appelé aussi le Fils de perdition, c’est-à-dire, descendu au dernier degré de perdition ; (Job 21, 30) : "Le méchant est réservé pour le moment où il doit périr, et Dieu le conduira jusqu’au jour où il doit répandre sur lui sa fureur. Ou encore de perdition, c’est-à-dire, fils de Satan, non par nature, mais en raison du dernier degré de malice, que Satan viendra compléter en lui. L’Apôtre dit aussi sera révélé, parce que de même que toutes les bonnes œuvres et les vertus des saints, qui ont précédé le Christ, ont été la figure de Jésus-Christ, ainsi dans toutes les persécutions de l’Église, les persécuteurs ont été comme la figure de l’Antéchrist qui s’est caché en eux. Toute la malice donc, qui est cachée en eux, sera manifestée dans ce temps. »

 

 

 

 

                                             Les épîtres de saint Paul aux fidèles de Thessalonique

 

 

Au temps de saint Paul, Thessalonique était une grande ville habitée par les Grecs. L’apostolat qu’il fait auprès des Juifs est infructueux, aussi l'apôtre se tourne-t-il vers les Grecs en l’an 52. Ceci est rapporté dans les Actes des Apôtres (17, 1-10).

L’Église naissante connaît un temps de générosité de la part des chrétiens, rapidement secoués par la persécution.

Saint Paul annonce qu’il voudrait les visiter mais, ne le pouvant, il envoie Timothée qui lui rapporte des nouvelles édifiantes ; les chrétiens sont en effet courageux dans la persécution qu’ils endurent. Toutefois ces nouvelles heureuses sont mitigées car ces chrétiens croient la fin du monde imminente. Aussi se relâchent-ils dans leurs efforts. A quoi bon en effet lutter puisque la fin du monde est proche ? A quoi bon aussi se marier, vu l’imminence de la fin ?

 

C’est dans ce contexte que saint Paul adresse deux lettres, rapprochées de quelques mois, aux Thessaloniciens. Il y est question de l’apostasie et de l’antéchrist.

 

C’est la deuxième lettre qui retient ici notre attention. Épître courte, elle se divise en trois chapitres : salutation, contenu doctrinal, considérations morales.

 

Voici le texte entier du deuxième chapitre :

v. 1-5 : saint Paul instruit les Thessaloniciens de ne pas s’écarter de la vérité ; le jour du jugement n’est pas imminent.

1. « Nous vous conjurons, mes frères, par l’avènement de Notre-Seigneur Jésus-Christ, et par notre réunion avec Lui,

2. de ne pas vous laisser facilement ébranler dans votre bon sens, et que vous ne soyez pas épouvantés, soit par quelque prophétie, soit par quelque parole ou quelque lettre qu’on prétendrait venir de nous, comme si le jour du Seigneur était proche.

3. Que personne ne vous séduise en aucune manière ; car il faut que l’apostasie arrive auparavant, et qu’on ait vu paraître l’homme de péché, le fils de la perdition,

4. l’adversaire qui s’élève au-dessus de tout ce qui est appelé Dieu, ou qui est adoré, jusqu’à s’asseoir dans le temple de Dieu, se faisant lui-même passer pour Dieu.

5. Ne vous souvenez-vous pas que je vous ai dit ces choses, lorsque j’étais encore auprès de vous ?

 

v. 6-11 : l’impie et ses œuvres de mort

6. Et maintenant vous savez ce qui le retient, afin qu’il ne paraisse qu’en son temps.

7. Car le mystère d’iniquité est actif déjà ; seulement il faut que celui qui le retient encore soit mis de côté.

8. Et alors se manifestera cet impie, que le Seigneur Jésus tuera par le souffle de sa bouche, et qu’il détruira par l’éclat de son avènement.

9. L’avènement de cet impie aura lieu selon la puissance de Satan, avec toutes sortes de miracles, de signes et de prodiges trompeurs,

10. et avec toutes les séductions de l’iniquité pour ceux qui périssent, parce qu’ils n’ont pas reçu l’amour de la vérité pour être sauvés. C’est pourquoi Dieu leur enverra une puissance d’égarement, pour qu’ils croient au mensonge,

11. afin que tous ceux qui n’auront pas cru à la vérité, mais qui auront consenti à l’iniquité, soient condamnés.

 

v. 12-16 : recours à la prière afin que Dieu nous appelle et nous maintienne dans la vérité.

12. Mais nous, frères bien-aimés de Dieu, nous devons rendre à Dieu de continuelles actions de grâces à votre sujet, de ce que Dieu vous a élus comme des prémices, pour vous sauver par la sanctification de l’Esprit et par la foi en la vérité ;

13. ce à quoi il vous a appelés par notre Évangile, pour vous faire acquérir la gloire de Notre-Seigneur Jésus-Christ.

14. Ainsi donc, frères, demeurez fermes, et conservez les traditions que vous avez apprises soit par notre parole, soit par notre lettre.

15. Que Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même, et Dieu notre Père, qui nous a aimés, et qui nous a donné par sa grâce une consolation éternelle et une bonne espérance,

16. consolent vos coeurs, et vous affermissent en toute bonne œuvre, et en toute bonne parole ! »

 

Au verset 2, l’apôtre recommande d’être ferme dans le vrai sens qui est l’unique voie : l’esprit surnaturel. Les termes latins sont énergiques et expressifs : ‘moveamini’ = agitation des âmes ; ‘terreamini’ = épouvante, terreur.

 

Au verset 3, saint Paul avertit ses fidèles de ne pas se laisser séduire par l’homme de perdition, celui qui sépare, divise pour faire perdre la Foi : l’apostasie. Le commentaire de saint Thomas d’Aquin, déjà publié (25 janvier dernier) est saisissant : « Disons donc que la séparation de l’empire romain doit être entendue, non pas seulement dans le sens temporel, mais dans le sens spirituel, c’est-à-dire de l’apostasie de la foi catholique dans l’Église romaine. Et le signe donné est de toute justesse, car de même que le Christ est venu au temps où l’empire romain dominait sur tous les peuples, ainsi, dans un sens opposé, le signe de la venue de l’Antéchrist sera la séparation des peuples d’avec l’empire romain. »

Notre-Seigneur avait annoncé : « Prenez garde de ne pas vous laisser induire en erreur. Car il en viendra beaucoup qui vous diront : c’est moi, et : le temps approche. Ne vous mettez pas à leur suite. Lorsque vous entendrez parler de guerres et de révolutions, ne vous troublez pas : cela doit d’abord arriver, mais n’est pas immédiatement la fin. » (Lc 21, 8-9)

Le Christ a annoncé l’apostasie de la foi ; saint Paul fit de même.

Voir à ce sujet les Écritures : Mt 24, 11-14 ; 1 Tim. 4, 1-7 :

Mt 24, 11-14 : « Et de nombreux faux prophètes surgiront, et séduiront beaucoup de monde. Et parce que l’iniquité abondera, la charité d’un grand nombre se refroidira. Mais celui qui persévérera jusqu’à la fin sera sauvé. Et cet Evangile du royaume sera prêché dans le monde entier, pour servir de témoignage à toutes les nations ; et alors viendra la fin. »

 

1 Tim. 4, 1-7 : « Mais l’Esprit dit expressément que, dans les temps qui viendront, quelques-uns abandonneront la foi, s’attachant à des esprits d’erreur et à des doctrines de démons, par suite de l’hypocrisie d’hommes proférant le mensonge et dont la conscience porte la marque de l’infamie, qui interdisent le mariage et ordonnent de s’abstenir d’aliments que Dieu a créés pour que les fidèles et ceux qui ont reconnu la vérité en usent avec action de grâces, car tout ce que Dieu a créé est bon, et rien n’est à rejeter de ce qui se prend avec action de grâces, parce que c’est sanctifié par la parole de Dieu et la prière. En exposant ces choses aux frères, tu seras un bon ministre du Christ Jésus, nourri des paroles de la foi et de la bonne doctrine que tu as suivie avec soin. Quant aux fables insensées et aux radotages, évite-les, et exerce-toi à la piété. »

 

Au verset 5, l’apôtre rappelle que la peur fait perdre la mémoire. Dans tous les temps de persécution, cette vérité se vérifie. On agit alors imprudemment, sous le coup de la crainte. C’est pour cela qu’il dira quelques versets après (v. 14) : « Ainsi donc, frères, demeurez fermes, et conservez les traditions que vous avez apprises soit par notre parole, soit par notre lettre. »

 

Jésus tuera par le souffle de sa bouche cet homme de péché, cet impie. (v. 8). Voir à ce sujet Isaïe 11, 4 : « Il jugera les petits avec justice et prononcera le droit pour les humbles de la terre. Il frappera la terre de la verge de sa bouche, et par le souffle de ses lèvres il fera mourir le méchant. »

 

L’amour de la vérité est l’antidote et le remède à l’erreur, le sauvetage de l’iniquité. Le Révérend Père Calmel O.P. a des lignes lumineuses éclairant notre propos. Il écrivit pour la revue Itinéraires, en 1967 et 1970, des articles fort limpides et forts sur l’Antéchrist. Nous citerons prochainement des extraits (Itinéraires n° 111 et n° 139) de l’éminent dominicain.

 

Saint Paul enfin rend grâces pour ceux qui persévèrent dans leurs bonnes résolutions (v. 12-16). Afin d’acquérir la gloire de Jésus-Christ, les combats quotidiens sont nécessaires. « Ainsi donc, frères, demeurez fermes, et conservez les traditions que vous avez apprises soit par notre parole, soit par notre lettre. » (v. 14) La foi a pour caractéristique la stabilité.

L’apôtre achève ce chapitre par le rappel des vertus théologales, foi, espérance, charité.

 

Le chrétien fidèle vit de la sainte Espérance. Après les tourments, les luttes, l’aprêté du combat contre les esprits de ténèbres répandus dans les airs, la paix est assurée.

 

Voici les termes de saint Paul :

« Au reste, frères, fortifiez-vous dans le Seigneur et dans sa vertu toute-puissante. Revêtez-vous de l’armure de Dieu, afin de pouvoir résister aux embûches du diable. Car nous n’avons pas à lutter contre la chair et le sang, mais contre les Principautés, contre les Puissances, contre les dominateurs de ce monde de ténèbres, contre les esprits mauvais répandus dans l’air. C’est pourquoi prenez l’armure de Dieu, afin de pouvoir résister au jour mauvais, et après avoir tout surmonté, rester debout. Soyez donc fermes, les reins ceints de la vérité, revêtus de la cuirasse de justice, et les sandales aux pieds, prêts à annoncer l’Évangile de paix. Et surtout, prenez le bouclier de la foi, par lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du Malin. Prenez aussi le casque du salut, et le glaive de l’Esprit, qui est la parole de Dieu. » (Eph. 6, 10-17)

 

 

Ne pouvant citer dans son entier la merveilleuse étude du Père Emmanuel-Marie O.P. (Avrillé) sur l’Apocalypse, nous recommandons la lecture des pages publiées dans le Sel de la terre n° 94 (Automne 2015, p. 10-28), sur les ‘Richesses de l’Apocalypse (V) - La Femme et le Dragon’ (Apocalypse 11, 19 ; 14, 5).

 

Le Père Emmanuel-Marie conclut son travail avec ces mots :

« Pour en revenir à la vision sublime des cent quarante-quatre mille qui ont remporté la victoire sur le diable et ses suppôts, retenons avant tout le caractère distinctif de cette victoire : elle s’est accomplie non parce qu’ils ont été exempts de la croix mais parce qu’ils l’ont acceptée avec amour. Nous trouvons ici, mais présentée d’un autre point de vue, la doctrine des béatitudes. La béatitude en effet, comme la victoire, sont accordées non pas aux disciples qui s’arrangent pour échapper à la privation, à la peine et aux persécutions, mais aux disciples qui les acceptent pour l’amour de Dieu. Bienheureux ceux qui ont l’esprit de pauvreté… Bienheureux ceux qui pleurent… Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice » (R.P. Calmel, Théologie de l’histoire, p. 51)

 

Saint Paul aux Thessaloniciens
Parole au Père Calmel

La parole au Révérend Père Calmel sur l'Antéchrist

Comme annoncé dans le dernier volet sur l’Antéchrist (1er février), nous poursuivons l’étude sur ce sujet en publiant des articles signés par le Révérend Père Calmel. La revue Itinéraires, en 1967 puis en 1970, fit paraître deux publications du dominicain.

 

Voici aujourd’hui celle de 1967. Elle est longue et nous ne ferons pas le sacrifice de brader quoi que ce soit de ce qu’il écrivit, en coupant son texte.

 

Prenez le temps de lire, de méditer, de souligner les passages les plus importants. A une époque où l’on veut aller vite, ‘zapper’ comme on dit si vulgairement, il importe de se poser, réfléchir, au besoin en tirant de l’ordinateur sur papier les bons textes (cela arrive parfois !) que l’on trouve sur l’internet. Rien ne remplacera le bon livre, crayon en main.

 

Nous avons seulement ajouté des sous-titres au texte du Père.

Au travail donc ! je vous souhaite bonne et enrichissante lecture.

 

 

De l’Antéchrist

par R.-Th. Calmel O. P.

Itinéraires - N° 145 - Mars 1967 - p. 144-165

                                 « En songeant aux tourments qui seront de le partage des chrétiens au temps de l’Antéchrist, je sens mon cœur tressaillir et je                                            voudrais que ces tourments me soient réservés. » 

SAINTE THÉRÈSE DE L’ENFANT JÉSUS, 
lettre à sœur Marie du Sacré-Cœur.

 

 

AU LECTEUR, peut-être piqué par ce titre, je ne peux évidemment rien dire sur la date de l’avènement de l’Antéchrist. Sera-ce dans cent ou cent cinquante ans, ou avant ou beaucoup plus tard, nous l’ignorons ; et sans doute n’y a-t-il personne sur la terre, à l’heure présente, qui sache dans combien d’années apparaîtra ce personnage mystérieux, le plus puissant des ennemis du Christ depuis qu’il y a des hommes qui le haïssent sans raison odio habuerant me gratis (Jo XV, 25). Mais cet ennemi est vaincu d’avance. Cependant les incertitudes sur la date n’enlèvent rien à la certitude sur le fait : il viendra un Antéchrist. Plus précisément le Christ reviendra dans sa gloire pour ressusciter tous les hommes, prononcer le jugement général, instaurer les cieux nouveaux et, la nouvelle terre, prendre, les élus dans son Paradis, réduire à une impuissance totale, au fond de l’Enfer, les démons et les hommes damnés.

 

Apostasie universelle

Mais, avant cette parousie du Seigneur, se produira l’apostasie universelle et l’Antéchrist se manifestera. C’est affirmé dans l’Écriture. La tradition chrétienne a toujours interprété cette affirmation ([1]) dans un sens réaliste et littéral, non métaphorique.

 

Le procédé de l’Antéchrist

Comment procèdera l’Antéchrist ? Saint Paul nous l’explique dans la seconde lettre aux Thessaloniciens : « (Le Christ ne paraîtra pas) avant que ne survienne l’apostasie et que l’homme de péché ne se manifeste ; il est le fils de la perdition, celui qui s’oppose et qui s’élève au dessus de tout ce qui s’appelle Dieu ou chose sainte, jusqu’à s’asseoir lui-même dans le temple de Dieu, prétendant lui-même être Dieu … Et maintenant ce qui le retient vous le savez, pour qu’il n’entre en scène qu’en son temps. Car déjà le mystère d’iniquité est à l’œuvre. Que seulement ce qui le retient jusqu’à présent soit écarté et alors se manifestera l’impie, que le Seigneur doit détruire du souffle de sa bouche et anéantir par l’éclat de son avènement – l’impie dont l’apparition se réalise selon l’action de Satan, par toute sorte de miracles, de signes, de prodiges trompeurs, avec toute la puissance de la séduction de l’iniquité pour ceux qui se perdent parce qu’ils n’ont pas ouvert leur cœur à l’amour de la vérité qui les eût sauvés ; et à cause de cela Dieu leur envoie des illusions si efficaces qu’ils croient au mensonge, afin que soient jugés tous ceux qui n’ont pas cru à la vérité, mais se sont complus dans l’injustice. » (II Thessal. 3-13).

 

De ce texte, qui se complète utilement par le passage sur les deux Bêtes dans l’Apocalypse, on pourrait proposer sans témérité, me semble-t-il, l’interprétation suivante : l’Antéchrist répandra à travers le monde, ou plutôt achèvera de répandre – puisqu’aussi bien ce sera l’époque de la grande apostasie – il achèvera de propager une manière de penser qui non seulement s’oppose à l’Évangile, mais qui le rende sans intérêt et comme inassimilable à l’esprit. Il achèvera d’enlever la foi parmi les hommes, parce qu’il s’arrangera pour que la foi véritable ne présente plus, en quelque sorte, de signification plausible. Souvenons-nous à ce sujet de l’interrogation angoissée de Notre Seigneur : lorsque le Fils de l’homme reviendra pensez-vous qu’il trouvera encore la foi sur la terre ? (Luc, XVIII, 8.) 

Le système de pensée dont l’Antéchrist se fera le promoteur effroyable, pour lequel il utilisera des moyens de diffusion inouïs, ne sera pas seulement hérétique, car une hérésie comme l’arianisme ou le protestantisme se rattache encore à la foi, laisse intacte la notion du Dieu transcendant et de notre destinée éternelle. Alors il ne sera plus question de rejeter tel ou tel article du Credo mais bien de laisser à l’écart le Credo dans son ensemble, de sorte que les pensées et les sentiments de l’homme n’aient plus d’orientation vers quoi que ce soit de surnaturel et même de religieux. Dans le système de pensée de l’Antéchrist, le Dieu tout-puissant sera foncièrement évacué, de même que son Fils consubstantiel Jésus-Christ Notre-Seigneur. Dieu sera réduit à n’être plus que l’homme, la société humaine, les multiples transformations opérées par l’homme grâce aux découvertes et aux techniques. C’est en ce sens que l’homme de péché s’oppose et s’élève au-dessus de tout ce qui s’appelle Dieu ou chose sainte, jusqu’à s’asseoir lui-même dans le temple de Dieu, voulant lui-même passer pour Dieu.

 

Il y a encore autre chose. L’action de l’Antéchrist ne se caractérise pas seulement par la propagation d’un mode de penser qui rende les âmes réfractaires, à toute disposition religieuse. L’idéologie, pourrions-nous dire, se trouvera liée indissolublement à un régime, un appareil de domination, un ensemble de réseaux sociologiques qui rendront presque naturelle aux hommes, en tout cas très difficile à éviter, l’irréligion fondamentale ; les possibilités de retrouver la foi dans le Seigneur, de revenir à l’Église catholique, apostolique et romaine, seront sur le point d’être anéanties. En d’autres termes, l’irréligion de l’Antéchrist ne se présentera point seulement comme une espèce de système philosophique ou de gnose enseignée dans les écoles, imposée sans que même on y prenne garde par les livres, la presse ou la télévision. Il y aura certes tout cela et c’est déjà terrible ; mais il y aura beaucoup plus. L’organisation sociale, l’appareil de contrainte seront combinés de telle sorte que l’irréligion imprègne la vie comme nécessairement, fasse corps, avec la vie. Je dis comme nécessairement, puisque les portes de l’Enfer ne prévaudront pas nous en sommes sûrs. – Ainsi que je l’écrivais naguère : le monde sera possédé du diable parce que le diable disposera d’une puissance d’égarement jamais obtenue jusque là, non parce qu’il sera devenu capable d’annuler les effets de la Rédemption parce qu’il aura réussi, dans l’esprit d’une foule de baptisés, à pervertir les vérités de la foi et à les faire oublier, non parce qu’il aura renversé le siège de Pierre, aboli toute prédication orthodoxe ou crevé les yeux des hommes de bonne volonté qui ne désirent que de voir ; – parce qu’il aura permission de nuire jusqu’à l’extrême, non parce qu’il cessera d’être enchaîné par le Christ vainqueur ([2]).

 

En tout cas, c’est à un appareil sociologique semblable à celui dont j’ai tracé l’esquisse que me paraissent convenir les paroles de saint Paul : l’apparition de l’impie se réalisera selon l’action de Satan, avec toute la puissance de séduction de l’iniquité pour ceux qui se perdent, parce qu’ils n’ont pas ouvert leur cœur à l’amour de la vérité qui les eût sauvés. Et à cause de cela Dieu leur envoie une force agissante de séduction pour qu’ils croient au mensonge.

Vous objecterez peut-être que les déterminations particulières que je propose sur la manifestation de l’Antéchrist ne sont pas contenues dans l’épître aux Thessaloniciens. C’est vrai. Cependant il ne paraît pas excessif de les en tirer si, dans la lecture de ces versets mystérieux, nous sommes attentifs non seulement au texte lui-même, mais encore à la vie de l’Église, notamment aux particularités actuelles de sa lutte contre le démon. Pour interpréter une prophétie, qui est relative à l’ultime, déchaînement des forces de l’Enfer, j’essaie de tenir compte de notre expérience présente des agissements du diable. Or que nous montre cette expérience ? Elle nous montre que le diable met en œuvre, inextricablement mêlés l’un dans l’autre, à la fois un certain système de pensée et un certain appareil sociologique. On observe cela dans les sectes occultistes et maçonniques, dans le néo-modernisme ([3]) et dans le communisme. De sorte que si l’Antéchrist personnel n’est pas encore venu parmi nous, du moins les organisations collectives sont déjà en place qui lui fraient immédiatement la voie ; elles fonctionnent sous nos yeux sur un plan très vaste. Du reste, au sujet du communisme, le Pape Pie XI n’hésitait pas à écrire, voici bientôt trente ans, en faisant une claire allusion au passage de saint Paul sur l’Antéchrist :

« Nous voyons avec une immense douleur, pour la première fois dans l’histoire, une révolte méthodiquement calculée et organisée contre tout ce qui est divin (II Thessal, II, 4.) »

Après une déclaration aussi autorisée il est bien difficile de soutenir que notre époque ressemble à toutes les autres et qu’il n’est rien de nouveau sous le soleil. On doit reconnaître au contraire à la suite du vicaire de Jésus-Christ que, pour la première fois dans l’histoire, le mystère d’iniquité, qui était à l’œuvre surtout depuis le début de l’ère chrétienne, a pris désormais certaines modalités inconnues avant notre époque. Que l’on observe, par exemple ceci : les doctrines hérétiques remontent aux premiers siècles de l’Église, mais la négation publiquement professée et imposée de tout ce qui est divin ne commence pas avant une période récente ; – de même si la tyrannie est de tous les temps, ainsi que l’art de circonvenir les chefs et de les dominer par la flatterie et le chantage, il reste que l’appareil de contrainte sociologique par noyau dirigeant et autorités parallèles est une invention toute moderne ; – enfin l’intrusion dans l’Église de Dieu de traîtres et de faux-frères a bien pu commencer du temps de saint Paul (II Cor. XI, 26), cependant l’activité au sein de l’Église de réseaux clandestins qui la minent de l’intérieur et qui font couvrir leur entreprise par des autorités officielles, une activité à ce point diabolique ne paraît pas s’être déployée avec quelque envergure avant le modernisme, continué et aggravé par le néo-modernisme.

Ainsi donc, au sens très général où le diable ne cesse de se démener dans le monde on peut dire avec l’Ecclésiaste : rien de nouveau sous le soleil. Mais au sens précis où le diable, qui n’est pas un esprit sommaire et borné, parvient à perfectionner ses méthodes il faut dire qu’il y a du nouveau et du pire dans le mal qui se commet sous le soleil.

 

Les sociétés secrètes

J’ai parlé des sectes maçonniques ou occultes, du néomodernisme et du communisme, comme forces collectives qui préparent de façon directe l’avènement de l’Antéchrist, parce que ces trois organismes, chacun à sa manière propre, s’élèvent au-dessus de tout ce qui est Dieu ou chose sainte et usurpent la place de Dieu. Ces trois puissances maléfiques, annonciatrices de l’Antéchrist et qui ne doivent pas s’ignorer entre elles, qui doivent avoir des points de rencontre malgré certaines frictions, ces puissances du diable ne me paraissent pas revêtir la même importance ni devoir être mises sur le même pied. Le communisme, me semble-t-il, occupe une place privilégiée du fait de son volume social. Maître de la Chine immense, de l’immense Russie, ayant colonisé une grande partie de l’Europe et de l’Asie, implanté en Afrique et en Amérique, possédant des réseaux dans presque tous les États et presque tous les milieux, il dispose d’une base de manœuvre considérable ; il a sous la main, universités et diplomatie, armées et finance et moyens formidables de propagande, bref toutes les ressources que procure la domination sur deux vastes empires. On entrevoit par là quel appoint extraordinaire peut fournir le communisme dans l’édification de contre-Église mondiale qui mènera à terme la grande apostasie et introduira immédiatement au règne de l’Antéchrist. 

Par son volume social hors de pair comme par ce génie dans l’ordre du mal qui lui revient en propre (et que nous allons étudier bientôt) le communisme a le pouvoir de porter à leur point suprême de virulence les procédés de matérialisation et de déchristianisation particuliers aux sociétés modernes.

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Le Christ, bien supérieur à l’Antéchrist

Mais, direz-vous peut-être, étant donné que pour le moment l’Antéchrist ([4]) ne risque pas de s’intéresser à nous, puisqu’aussi bien il n’est pas encore paru, est-il bien nécessaire de nous intéresser à lui ? Ce n’est certainement pas indispensable ; et, même si nous attardons notre pensée sur ce personnage, c’est avant tout le Christ qui doit nous intéresser. D’autant que le Christ est évidemment hors de proportion avec l’Antéchrist et qu’il le domine de toute sa puissance et toute sa sainteté de Fils de Dieu fait homme. Ne commettons pas l’erreur, au sujet de l’Antéchrist, de l’imaginer en quelque sorte comme le symétrique, le correspondant homologue du Seigneur Jésus. Pas de symétrie possible. Le Seigneur Jésus est le Verbe de Dieu incarné ; son action est toute-puissante, la grâce qu’il nous a méritée par sa Passion a tout pouvoir sur notre liberté, il réside à l’intime de nous, plus intérieur à nous que nous-mêmes et cette présence, comblante et sanctifiante, constitue une sauvegarde inexpugnable. « Celui qui mange ma chair et boit mon sang demeure en moi et je demeure en lui. » (Jo. VI, 57.)

Rien de tel pour l’Antéchrist. Sa puissance ne sera pas plus grande que celle d’une créature humaine, qui sert d’instrument à un ange maudit, qui lui-même n’est qu’une créature, malgré sa qualité d’esprit pur. L’Antéchrist, avec tous ses prestiges et toutes ses ruses, ne pourra s’emparer d’une liberté qui ne consentira pas à lui ouvrir ses portes ; il ne pénétrera pas au secret d’un cœur qui veut demeurer avec Dieu. Et même sans parler de son action, c’est déjà la connaissance du secret des cœurs qui lui restera inaccessible ([5]). Enfin la contre-Église qu’il aura édifiée ne détiendra jamais une puissance de persécution ni de désagrégation assez insinuante ou assez forte pour supprimer l’Église véritable, la déposséder de sa hiérarchie régulière et de ses sacrements efficaces, la vider de sa charité.

 

Il faut le répéter, à cause de la pente naturelle de notre esprit infirme à concevoir le mal comme le symétrique du bien et l’Antéchrist comme l’homologue du Christ, il faut dire et redire que l’Antéchrist ne sera semblable au Christ ni du point de vue de la puissance ni du point de vue de l’intériorité, ni du point de vue de l’animation qu’il doit communiquer à l’anti-société de son invention.

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La tactique de l’Antéchrist par le communisme

Or l’Antéchrist étant remis à la place qui lui revient par rapport au Verbe incarné rédempteur, il n’est pas inutile de considérer de près ce personnage de la fin, et plus particulièrement les organisations qui préparent son entrée en scène. Sachant en effet à quoi nous en tenir sur de telles organisations nous aurons plus de chances d’être immunisés et d’échapper à leurs pièges, qu’il s’agisse des maçonneries, du néo-modernisme ou du communisme. – Mais considérons de plus près le communisme puisqu’aussi bien il paraît être le plus au point des trois mécanismes infernaux qui préparent la grande apostasie et l’avènement de l’Antéchrist. 

Le lecteur connaît sans doute les travaux de Jean Madiran sur le communisme et ceux d’Augustin Cochin sur les sociétés de pensée. Augustin Cochin jeune historien initiateur qui tomba sur le front de la Somme en 1916 comme un centurion évangélique. Eh ! bien le grand intérêt, l’intérêt sans égal, des études de Cochin comme de Madiran c’est d’avoir mené à bien une analyse différentielle de ce qu’on pourrait appeler les sociétés contre-nature ([6]).

 

Ils ont mis le doigt sur le caractère spécifique et très nouveau du système de gouvernement inauguré par la Révolution de 1789 et porté par le communisme à son point extrême d’horrible perfection. D’autres auteurs ont fait la lumière sur la psychologie du jacobin ou du bolcheviste ; ou bien ils ont scruté le jacobinisme et le communisme en tant que doctrine (ou plus exactement en tant qu’idéologie) souvent sans bien voir le rapport exact entre l’idéologie et la pratique ; car l’idéologie communiste ne commande pas la révolution à la manière logique dont, par exemple, la doctrine chrétienne sur Dieu et son Christ commande la morale et la vie chrétienne ; au contraire l’idéologie est strictement asservie à la pratique, modifiable selon les impératifs du succès de la révolution. – En tout cas, si des auteurs divers ont manifesté des aspects importants et indéniables de la Révolution et du communisme personne jusqu’ici, du moins à ma connaissance, n’a dégagé avec autant de perspicacité que Madiran et Cochin le caractère irréductible de la domination communiste ou révolutionnaire, c’est-à-dire l’existence et le rôle de noyaux dirigeants et des autorités parallèles. Ces autorités, d’un type spécial et non juridiquement défini, savent s’intro­duire dans tous les groupes et dans les rouages même de l’État pour les orienter et les ployer à leur bon plaisir. C’est ainsi qu’en régime communiste des groupements professionnels peuvent se former, mais ils sont pénétrés et manœuvrés par le noyau dirigeant d’une caste unique et intouchable. De même, les groupements religieux, les diocèses avec leurs administrations particulières, paroisses, séminaires, œuvres diverses, ont toujours licence d’exister et même parfois d’agir apostoliquement, (mais alors dans des limites très exiguës et sous une surveillance odieuse) ; cependant les autorités officielles sont doublées dans les coulisses par d’autres autorités aux mains du Parti, de sorte que le Parti impose continuellement sa contrainte, ses mensonges, son arbitraire. Il exige d’abord, bien-entendu, que les autorités officielles observent le silence sur le noyau clandestin qui les mène à peu près à sa guise ; et il dispose de moyens de pression assez considérables pour obtenir le silence. Du reste il arrive en divers domaines que l’autorité officielle et l’autorité clandestine soient réunies dans les mêmes mains. Selon la remarque de Tito, élevé dans le sérail – « il y a en U.R.S.S. cinq millions de fonctionnaires d’autorité et cinq millions de membres du Parti ; ce sont les mêmes. » Remarque qui n’est pas toujours vraie à la lettre, encore qu’elle le soit le plus souvent ; mais qui est absolument exacte dans son esprit. » ([7])

L’écrasement, l’esclavagisme particulier au communisme est bien sans doute celui de la tyrannie et de la terreur ; mais c’est la tyrannie telle que peut l’exercer un noyau dirigeant ; la terreur telle que peuvent la faire régner des autorités parallèles. Il est beaucoup plus difficile d’y échapper et le recours est sur le point d’être devenu impossible. 

Une société fondée sur les relations normales de la nature ou de la grâce, comme la commune, la profession, la patrie, le diocèse, – ayant à sa tête une autorité visible, connue, juridiquement établie et définie, – une telle société n’est pas forcément immunisée contre l’arbitraire et les abus, le formalisme et le juridisme ; l’histoire le démontre surabondamment, dans l’État aussi bien que dans l’Église, parmi les évêques aussi bien que parmi les princes. 

 

Du moins une société selon la nature (ou selon la grâce) est-elle apte, de par son essence, à servir le bien de l’homme, de même qu’elle porte en son sein des ressources vitales pour être amendée lorsqu’elle se gâte et se corrompt, précisément parce qu’elle est ordonnée d’après ce qui est le bien de l’homme et parce que l’autorité est établie selon le droit, définie juridiquement. Or, on peut concevoir, en sens contraire, une anti-société qui travaille constitutivement au mal de l’homme (encore qu’elle appelle ce mal, progrès, promotion et paix), on peut concevoir une société qui ne laisse pour ainsi dire aucun recours à ceux qu’elle a capturés dans ses mailles. Il suffit de regarder le communisme comme il est pour se convaincre que cette anti-société, cet anti-gouvernement, existe et fonctionne désormais parmi les peuples.

Une société de ce genre ne se fonde pas du tout sur les relations naturelles ([8]) : commune, profession, patrie ; pas même sur une chimère dévorante comme la liberté et le progrès divinisés des révolutionnaires du XVIIe siècle. Le fondement de cette société monstrueuse est l’aberration radicale du matérialisme dialectique et de la transmutation de l’humanité par ce matérialisme. Fondée sur un principe aussi pervers l’anti-société communiste est invinciblement portée à mettre en place un régime, un système de domination, qui soit au maximum contre-nature.

 

La tyrannie classique, c’est-à-dire la volonté d’un seul qui dominerait en dehors de toute loi, pour oppressive et ruineuse qu’elle fût, resterait encore insuffisante pour le mal, précisément parce que les victimes auraient affaire à une personne réelle, individuelle, plus ou moins abordable et par là même flexible. Mieux vaut, à coup sûr, afin que l’autorité soit assortie à une société inversée, mieux vaut la tyrannie des réseaux clandestins et des autorités parallèles. On réalise alors cette perversion intrinsèque dénoncée par le Pape Pie XI, qui tient aux fibres de la société communiste. Alors ce qui subsiste de société saine, d’organisation naturelle, est par définition et sans trêve, rongé, corrodé, empoisonné par les autorités parallèles. 

Je songe ici aux réflexions de Joseph Pieper ([9]) sur la mondialisation d’un pouvoir pervers comme signe précurseur de l’Antéchrist ([10]), et je suis très porté à croire qu’il ne s’agit pas d’un pouvoir classique, serait-ce une tyrannie effroyable, mais d’un pouvoir de type révolutionnaire et communiste. Quand il atteindra le stade de la mondialisation, le système du noyau dirigeant et des autorités parallèles deviendra d’une efficacité prodigieuse pour étouffer les âmes et subvertir l’Église. C’est sans doute par ce système de domination, devenu enfin mondial, que seront faits les préparatifs tout à fait immédiats de la venue de l’Antéchrist.

Ce que je voudrais surtout retenir c’est ceci : toute société dont l’idéal est révolutionnaire, c’est-à-dire qui porte en soi la haine de l’être et donc la haine des hiérarchies naturelles et d’abord de la souveraineté de Dieu, toute société de ce genre tend de tout son poids à neutraliser et fausser l’autorité légitime ; or le meilleur moyen d’y parvenir c’est d’instaurer des autorités contre-nature noyau dirigeant, groupes occultes de pression, autorité et polices parallèles. 

Par ces considérations je n’entends pas suggérer que le communisme se soit établi déductivement, comme par un processus a priori ; comme si les initiateurs bolchevistes s’étaient dit en eux-mêmes, tout à trac : pour la société que nous voulons mettre sur pied et à laquelle le matérialisme dialectique est consubstantiel, l’espèce de gouvernement approprié sera le noyau dirigeant ; dès lors nous allons le mettre en place. Semblablement je ne suppose pas que les révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle aient raisonné à peu près ainsi : puisque nous voulons faire naître une nouvelle France, qui ait brisé avec la superstition ecclésiastique et avec les autorités naturelles et traditionnelles, nous allons inventer le régime des sociétés de pensée et des club, comme étant le plus convenable pour rendre une vieille nation chrétienne étrangère à Jésus-Christ et au meilleur de son passé. Dans la réalité historique les choses sont plus complexes ; elles vont en tâtonnant, elles n’ont pas la rigueur déductive du discours. Seulement l’explication déductive que l’on fournit après coup permet de mieux saisir la nature de l’enchaînement des contingences historiques. – Nous voudrions en tous cas, par ces brèves considérations, avoir fait entrevoir que le refus du fondement naturel de la société, lorsqu’il est porté à une certaine extrémité diabolique, tend à engendrer, et engendre de fait, une hiérarchie de mensonge pour une société inversée : les clubs Pour la Révolution et, pour le communisme, le Parti et le noyau dirigeant. 

L’un des points saillants de Divini Redemptoris est de rendre raison du succès et de la progression du communisme ; le document pontifical les explique avant tout par le mensonge, par une force inégalée dans la propagande du mensonge. Or si nous recherchons le foyer secret de cette force sans égale nous sommes amenés à découvrir les techniques nouvelles de domination : noyau dirigeant, autorités parallèles et clandestines. 

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Application des techniques du communisme dans l’Église

Or il paraît difficilement niable que ces nouvelles techniques de contrainte n’aient commencé à s’introduire dans la sainte Église. Comme le remarquait un auteur avec beaucoup de clairvoyance ([11]) – « le caractère étrange de la crise que traverse actuellement la foi chrétienne réside dans la difficulté de faire la lumière. Pourquoi ? Parce que l’actuel système d’hérésie, et plus exactement d’apostasie, ou « d’athéisme chrétien » est inséparable d’un appareil sociologique qui parvient à demeurer presque invisible. S’il n’y avait pas dans les bureaux … des postes ecclésiastiques importants des autorités parallèles et clandestines solidement incrustées, pratiquement intouchables, assez puissantes pour se, faire craindre et obéir » comment s’expliqueraient de manière satisfaisante les progrès du teilhardisme, le succès des interprétations déformantes de Vatican II et même le déferlement de cette littérature infecte qui représente une sorte d’érotisme catholique ? 

 

De son côté l’abbé Louis Coache notait la similitude des procédés entre le néo-modernisme et le communisme. « On y trouve mêlés disait-il, (dans l’un et l’autre) les objectifs dévoilés et les fins secrètes. Les objectifs dévoilés (dans le néo-modernisme) ce sont : aller aux hommes, faire comprendre la liturgie … faciliter la pratique religieuse … faire l’unité et propager la paix. Les fins secrètes correspondent à une volonté satanique, la volonté de séparer les Églises de Rome, laïciser les insti­tutions sacrées, mettre l’homme et finalement Satan à la place de Dieu. – Seuls Satan et un certain nombre de ses suppôts connaissent les fins secrètes. Tous leurs ouvriers, militants d’action catholique, aumôniers, curés et vicaires foncent de bonne foi et avec ardeur vers ces fins secrètes, croyant sincèrement qu’ils travaillent pour une meilleure orthodoxie … L’une des techniques les plus en vogue et les plus sûres du lavage de cerveau, c’est la révision de vie. La révision de vie correspond aux séances d’endoctrinement des pays communistes ([12]). »

A ces diagnostics accablants il ne paraît pas que l’on ait opposé, jusqu’ici, un démenti capable de convaincre. Et sans doute ce n’est point parce qu’un mal aussi grave, de nature typiquement révolutionnaire et communiste, aurait pénétré dans l’Église elle-même que nous allons douter des promesses du Sauveur. Nous sommes sûrs que l’Église est ainsi faite qu’elle se défendra victorieusement, même contre ce mal nouveau. Il reste que l’ère de l’Antéchrist doit être sensiblement rapprochée. Le serait-elle davantage encore il faut dire et maintenir que, en un certain sens cette proximité, cette préparation est comme rien. Bien plus, c’est la réalisation elle-même qui, en un certain sens, sera comme rien ; je dis comme rien en ce sens qu’il n’y a pas de commune mesure, ainsi que je l’ai déjà exposé, entre le Christ et l’Antéchrist. C’est pourquoi du reste le titre de victorieux n’est pas un attribut du démon, mais seulement du Seigneur. 

 

Même si la dénaturation de la foi devait encore s’amplifier, même si devait encore s’étendre le système de domina­tion par noyautage, nous avons la ferme espérance que le Seigneur donnera à ceux qui veulent demeurer fidèles l’intelligence et la force pour résister et persévérer ; cependant il n’y a pas d’illusion à avoir sur le prix qu’il y faut mettre et qui peut être la vie elle-même. 

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Un mal sournois

Le mal qui est propre et réservé au communisme me paraît vraiment difficile à saisir. On a beau s’efforcer de concevoir une société perverse, on ne se forme pas spontanément l’idée de la société (de l’anti-société) communiste. On pense tout de suite, par exemple, à la tyrannie de quelque Nabuchodonosor, utilement secondé par une bande de fanatiques ; ou bien à ces régimes persécuteurs dont l’histoire nous retrace le tableau, depuis Dioclétien jusqu’à la grande Élisabeth et au roitelet sauvage de l’Ouganda. Or avec toutes ces représentations nous restons encore loin du communisme. Car il n’est pas une simple variante dans l’espèce des régimes iniques antérieurement connus. Il est autre chose, malgré un certain nombre de similitudes extérieures. Et, à moins de faire très attention, nous ne remarquons pas qu’il est vraiment autre chose, une chose incomparablement plus mauvaise. Dans son cas, les moyens de la persécution religieuse par exemple ne sont pas seulement la délation, la torture et la déportation. Certes ces méthodes horribles sont abondamment utilisées, mais elles sont exigées par le principe nouveau des autorités parallèles et, par cela même, elles sont enveloppées dans une atmosphère étouffante de mensonge. Les autorités parallèles travaillent en effet à faire croire à tous les chrétiens, et au martyr lui-même, que refuser le communisme c’est trahir l’Église. Cette perfection dans le mensonge est difficile à percevoir. Cela ne vient pas facilement à l’esprit. 

 

Essayez plutôt de parler de ce genre de persécution à de jeunes esprits, simples et droits. Vous leur racontez les interrogatoires interminables, les affres des prisons et des camps de la mort, en un mot ce qu’on avait déjà vu, – mais en moins grand et moins atroce, – dans les persécutions des premiers siècles ou de la Réforme. Jusque-là votre jeune auditoire suit très bien. Mais essayez d’aller plus loin, d’expliquer ce qui caractérise la persécution communiste, de faire saisir les procédés de pression par autorités parallèles, vous sentez qu’on ne vous suit plus ; c’est trop contre-nature ; on ne saisit pas ce procédé diabolique qui fait que le mensonge le plus noir ne se sépare pas de la cruauté la plus féroce ; c’est sans doute la plus épouvantable invention de l’Enfer. 

Dans un autre domaine, les moyens mis en œuvre, en pays communiste, pour dominer l’agriculture, l’industrie, le commerce, l’université ne consistent pas seulement dans un contrôle tracassier, un grand développement de la police, une publicité obsédante, la nécessité d’attesta­tions et de certificats pour tout et pour rien. Il y a tout cela mais c’est commandé par le Parti, par un petit noyau intouchable qui a toutes les apparences d’être la représentation légitime des pays, qui détient la faculté de réduire au silence tout ce qui voudrait protester contre cette imposture. 

Or si le communisme a secrété en quelque sorte ce système de domination c’est parce qu’il est un matérialisme, et comme il le proclame lui-même, un matérialisme « dialectique ». Cela signifie que, de son point de vue, non seulement l’être humain se réduit à la matière, mais aussi que l’une des lois de la matière : l’opposition et la destruction, est tenue comme la loi foncière de la société des hommes. 

 

Il importe dès lors d’exaspérer les contradictions et les divisions à l’intérieur des groupes sociaux, de les susciter au besoin, afin que la société, en vertu de cette « dialectique », finisse par engendrer un type d’homme qui n’aurait plus rien à voir avec la vérité de son être, sa condition de nature principalement spirituelle, créée par Dieu, blessée en Adam, rachetée par Jésus-Christ, destinée à la paix et à l’harmonie par fidélité à une loi objective et transcendante. Ce matérialisme, d’espèce « dialectique » comme il se dénomme lui-même, est aux antipodes, autant qu’il est possible, de la réflexion d’un esprit bien fait. Il faut, je crois, un certain effort pour convenir que le communisme est tout de même cela : un matérialisme absolument contre-nature. Et ce matérialisme contre-nature réclame pour le servir, ainsi que nous le disions plus haut, un régime foncièrement anti-naturel. 

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« Nous avons cru à la Charité »

Pour arriver à voir le communisme comme il est, dans sa perversité intrinsèque et sa nouveauté dans la perversité, il me semble que les chrétiens, que chacun de nous a besoin de croire davantage à l’amour de Dieu. Car c’est dans la mesure où notre foi dans l’amour de Dieu est vivante et fortifiée par les dons du Saint-Esprit que nous obtenons l’intelligence du péché et des organisations sociales de péché. Si nous croyons très profondément que celui qui fut cloué sur la croix le vendredi saint est le Fils de Dieu lui-même ; si notre foi dans l’eucharistie, dans l’Église indéfectible, est rendue pénétrante et lumineuse par l’action du Saint-Esprit nous deviendrons capables de voir dans le communisme un châtiment et une épreuve et de mieux discerner sa véritable nature. Nous n’aurons plus besoin de nous faire illusion sur sa perversité radicale ni de la sous-estimer, parce que nous aurons compris vitalement que le Seigneur peut demander à son Église des preuves d’amour très fortes et nouvelles ; en l’occurrence la lutte contre un mal monstrueux, inconnu des âges antérieurs. Si la réalité de l’agression communiste est trop souvent méconnue des chrétiens c’est parce que, faute de croire suffisamment à l’amour de Dieu, ils ne pensent pas qu’il puisse nous châtier jusqu’à nous envoyer des fléaux aussi redoutables, qu’il puisse nous honorer jusqu’à nous jeter dans des combats aussi rudes. En outre les chrétiens ne croient pas suffisamment que la Vierge immaculée s’intéresse aux suprêmes batailles de l’Église et qu’elle intercède pour sa victoire. 

Croire à l’amour de Dieu nous donnera la force non seulement d’être clairvoyants sur le mal qui est notre épreuve (et notre punition) mais de le combattre par les armes appropriées. Quelles armes ? 

La réponse de l’encyclique Divini Redemptoris peut se résumer en ces termes : les armes d’une sainteté réaliste. Non seulement la prière et le jeûne, mais la restauration des mœurs chrétiennes privées et publiques. Dans la vie privée : détachement des biens terrestres, confiance en la Providence, fidélité aux lois du mariage, reconnaissance effective du primat de la contemplation et de l’état de consécration à Dieu. Dans la vie publique : grande attention à ne, pas nous laisser égarer par le communisme, refus de collaborer, persévérance à dénoncer sa malignité ; mais aussi organisation professionnelle, refus de l’étatisme, acceptation par l’État de la « juridiction de l’Église sur la cité ». 

Combien de laïques (et de clercs) en relisant le programme de défense, élémentairement chrétien, préconisé d’un cœur paternel par le Pape Pie XI, en viendront à se poser la question : mais pratiquement, qu’est-ce qui demeure à notre portée ? Enterrés comme nous le sommes dans les réseaux innombrables de l’étatisme, évoluant dans un milieu sursaturé de laïcisme et de néomodernisme, dans un climat de veulerie et de luxure, comment appliquer le programme pontifical ? 

 

Eh bien !, aller jusqu’au bout de nos possibilités dans les domaines, même exigus, qui demeurent en notre pouvoir ; nous serrer et nous entr’aider en de petites communautés naturelles ; des communautés aussi nettement chrétiennes que possibles, qui acceptent un certain retrait du monde comme loi essentielle, d’existence et d’apostolat ; enfin persévérer dans la prière, afin que les ailes de notre espérance ne soient jamais brisées ni repliées. C’est en vain que l’on tend des filets sous les pieds de ceux qui ont des ailes ([13]), et ceux qui ont des ailes sont ceux qui prient. 

R.-Th. Calmel, o.p.

 

 

P.S. – S’il est vrai, comme je l’ai suggéré plus haut, qu’avec l’intrusion des maçonneries, du néo-modernisme et du communisme nous soyons entrés dans la phase de préparation immédiate de la grande apostasie – sans préjuger d’ailleurs de la durée de cette phase – comment concevoir, dans ce cas, la possibilité de ce « printemps chrétien » que nous a fait entrevoir, me semble-t-il, le message de Fatima et tel discours de Pie XII et de saint Pie X ([14]) ? Pour se dégrader et tomber finalement dans la grande apostasie, ce printemps chrétien ne devra-t-il pas se prolonger sur l’espace de plusieurs siècles ? Et si l’apostasie est reculée aussi loin, avons-nous le droit de suggérer que nous soyons entrés dans la phase de sa préparation immédiate ? Ne vaudrait-il pas mieux convenir simplement que nous traversons une passe difficile ; ni meilleure ni pire que d’autres, analogue par exemple aux crises de l’arianisme ou de la Réforme ? – Je ne le pense pas et je me suis expliqué sur le manque de commune mesure entre les hérésies classiques d’une part, et de l’autre, le néo-modernisme, les sectes occultes et le communisme. 

Pour ce qui est du long délai qui serait requis entre le printemps chrétien possible ou probable et le déchaînement de la grande apostasie, voici ce que je me permets d’avancer : l’histoire de l’Église semble démontrer qu’il suffit d’un temps très bref pour qu’un renouveau extraordinaire de foi et de ferveur, un printemps chrétien, soit emporté et submergé par quelque puissante hérésie qui se déchaîne avec la soudaineté d’une tornade. C’est ainsi que la paix de l’Église et le grand mouvement de conversion qui l’accompagne se situe en 313, et cependant c’est quelque années plus tard, en 325, qu’il faut réunir le Concile œcuménique de Nicée pour parer aux dévastations foudroyantes de l’arianisme. D’après cet exemple il ne paraît pas téméraire de supposer une durée fort courte entre le printemps chrétien et la grande apostasie.

 

Et sans doute ce qui importe c’est de vivre dans le présent, en présence du Seigneur, maître des événements et des hommes, sans trop nous occuper de l’avenir. Il reste que si Dieu nous a créés capables de conjectures ce n’est pas pour rien. Et l’idée qu’il n’est pas du tout invraisemblable que nous soyons entrés désormais dans la phase de la préparation immédiate de la grande apostasie doit évidemment développer en nous la disposition à veiller et prier, nous méfier des faux-prophètes et de leurs organisations collectives, nous inciter à être prudents comme des serpents et simples comme des colombes ; prudents comme des serpents parce que nous avons l’expérience de notre faiblesse intime, de la facilité de notre nature à s’échapper et s’égarer, de l’astuce et de la violence de la contre-Église ; – simples comme des colombes parce que nous sommes encore plus certains de la toute-puissance de la grâce que de la faiblesse de notre liberté ; et parce que les prestiges et les pressions de Satan et de ses suppôts, avec leur appareil de domination par autorités parallèles et réseaux clandestins, sont en vérité comme rien du tout en face de la croix du Christ et de l’intervention de Notre-Dame – secours des chrétiens et mère de l’Église. 

R.-Th. C.

 

 

[1] – (1) Voir Dictionnaire de Théologie Catholique au mot Antéchrist. Je me rallie à la conception, qui me paraît mieux fondée, dans la tradition, d’un Antéchrist personnel. Voir IIIa Pars, question 8, article 8. Mais l’autre théorie, celle d’un Antéchrist purement collectif, peut être librement soutenue. – Du reste même dans l’hypothèse d’un Antéchrist collectif nos réflexions ne sont pas changées pour l’essentiel. Pour l’interprétation de « ce qui le retient » saint Thomas estime que c’est l’Église romaine (in Thessal. II, cap. 2, lect. 1). Saint Augustin explique de son côté que lorsque les mauvais chrétiens et les pseudo-chrétiens (mali et ficti) seront en nombre suffisant dans l’Église pour former un vaste peuple, alors l’Antéchrist paraîtra. Cité de Dieu, XX, 19. (Ficti : on peut penser aux chrétiens apparents (qui forment la pseudo-Église du néo-modernisme). Par ailleurs la conversion du peuple juif (Rom., IX-XI) doit-elle coïncider avec la grande apostasie ou la précéder ou, même peut-être la suivre, je n’ai pas su en décider.

[2] – (1) « Théologie de l’histoire », page 112, dans le numéro de septembre-octobre 1966 d’Itinéraires.

[3] – (1) Voir Itinéraires, juin 1966, « La Foi au goût du jour », de PÉRÉGRINUS ; A propos de Maurras, de DUROC. – Voir Itinéraires, juillet 1966, ma note sur les Sociétés Secrètes.

[4] – (1) Même si l’Antéchrist est collectif, nos remarques demeurent substantiellement inchangées. – Le mot Antéchrist se trouve dans Ia Joannis II, 18-23 et III, 3.

[5] – (2) Le secret des cœurs est fermé aux anges eux-mêmes. Sur les limites de la connaissance angélique, voyez Ia Pars, question 57.

[6] – (1) Augustin COCHIN. Les sociétés de pensée et la démocratie moderne ; puis la Révolution et la libre pensée (l’un et l’autre chez Plon édit. Paris). – Abstraction révolutionnaire et réalisme catholique, opuscule chez Desclée de B. à Paris. – Enfin l’ouvrage remarquable d’Antoine DE MEAUX : Augustin Cochin et la genèse de la Révolution, paru en 1928 dans la collection du Roseau d’Or (Plon édit.) – MADIRAN surtout son ouvrage Vieillesse du Monde (Nouv. édit. latines). L’étude présente, on s’en apercevra tout de suite, lui est extrêmement redevable.

[7] – (1) J. MADIRAN, La Vieillesse du monde, p. 16.

[8] – (1) Relire dans L’Homme face au totalitarisme moderne (Congrès Sion, 1964) édit. C. L. C., 49, rue des Renaudes, Paris : la Communication de Jean Madiran, p. 16 : « Je prends la société de pensée à l’état pur c’est-à-dire une société construite arbitrairement par la pensée, en réaction ou plus exactement en révolution contre les sociétés naturelles. Les sociétés de pensée sont des sociétés construites en dehors des rapports hiérarchiques normaux et juridiquement définis. – Les sociétés données ou construites selon la nature sont des sociétés de relations et de rapports familiaux, professionnels, de voisinage, nationaux, etc., et hiérarchiques – c’est-à-dire comportant des autorités juridiquement définies, tandis que les sociétés de pensée, d’emblée, se placent en dehors de ces relations normales, naturelles et hiérarchiques, et c’est pour cela qu’elles aboutissent à ce qu’on a appelé le système des hiérarchies parallèles. Les hiérarchies parallèles sont des hiérarchies qui ne sont fondées ni sur la nature, ni sur la grâce et qui ne sont pas juridiquement définies… Lorsqu’on parle de hiérarchies en dehors des catégories juridiques on est en train de mettre sur pied des tyrannies car la tyrannie peut se définir : une autorité et une hiérarchie en dehors de toute définition juridique. »

[9] – (1) La fin des temps (traduit de l’allemand par Claire Champollion) édité chez Desclée de B. à Paris, en 1953

[10] – (2) Il convient de rapporter à ce sujet la vision saisissante de BERNANOS -. « Vous saurez ce que c’est qu’une certaine paix – non pas même celle qu’entrevoyait Lénine, agonisant sur son lit de sangle, au fond de sa hideuse mansarde du Kremlin, un œil ouvert l’autre clos – mais celle qu’imagine, en ce moment peut-être, en croquant ses cacahuètes au sucre, quelque petit cireur de bottes yankee, un marmot à tête de rat, demi-saxon, demi-juif, avec on ne sait quoi de l’ancêtre nègre au fond de sa moelle enragée, le futur roi de l’acier, du caoutchouc, du pétrole, le trusteur des trusts, le futur maître d’une planète standardisée, ce Dieu que l’univers attend, le Dieu d’un univers sans Dieu. » (G. BERNANOS, La Grande Peur des bien-pensants, p. 454, édité chez Grasset à Paris, 1931.)

[11] – (1) PÉRÉGRINUS, dans Itinéraires de juin 1966.

[12] – (1) Le Monde et la vie, juin 1966, article de l’abbé COACHE sur la nouvelle religion.

[13] – (1) Prov., 1, 17.

[14] – (2) Voir l’allocution de Saint Pie X, du 29 nov. 1911, qui annonce un renouveau de la mission chrétienne de la France. (Actes de Pie X, édités à la Bonne Presse à Paris, tome VII ; ou bien page 17 de Destin de la France, par E. ROBERT, Librairie du Carmel, 27, rue Madame, Paris 6e).

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L'espérance du Père Calmel dans l'épreuve

L'espérance du Père Calmel dans l'épreuve

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« Eh bien !, aller jusqu’au bout de nos possibilités dans les domaines, même exigus, qui demeurent en notre pouvoir ; nous serrer et nous entr’aider en de petites communautés naturelles ; des communautés aussi nettement chrétiennes que possibles, qui acceptent un certain retrait du monde comme loi essentielle, d’existence et d’apostolat ; enfin persévérer dans la prière, afin que les ailes de notre espérance ne soient jamais brisées ni repliées. C’est en vain que l’on tend des filets sous les pieds de ceux qui ont des ailes (Prov. 1, 17), et ceux qui ont des ailes sont ceux qui prient. »

 

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C’est ainsi que le Père Calmel achevait les mots de son bel article de mars 1967. Paroles remplies d’espérance, reprises dans plusieurs textes de la même veine que nous allons citer à présent, comme un florilège de pensées lumineuses et fortes dans une époque de ténèbres épaisses.

 

Toutes les citations suivantes sont tirées de l’ouvrage : Brève apologie pour l’Église de toujours.

 

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« Diviserunt sibi vestimenta mea (Jn 19, 14). Désormais ce sont les prêtres de Jésus-Christ, non les soldats de Pilate, qui se partagent les vêtements du roi crucifié. En détruisant l’unité et la stabilité des rites reçus de la Tradition, en les manipulant au gré de leurs caprices et de leurs fantaisies, les prêtres du Seigneur mettent en péril l’institution sacramentelle indivisible et universelle. (…) Cependant la tunique de Jésus qui était d’un seul tenant depuis le haut ne fut point partagée. » (p. 43)

 

Quoi qu’il en soit des aberrations de l’autorité hiérarchique dans la sainte Église (…), les prêtres du second ordre ne peuvent tenir la place des évêques, ni des laïcs tenir la place des prêtres. Songeons-nous alors à mettre sur pied une immense et mondiale ligue ou association de prêtres et de chrétiens fidèles qui, devenus des « interlocuteurs valables » pour la hiérarchie officielle, l’obligeront à reprendre en main les rênes et à rétablir l’ordre ? Dessein grandiose, dessein émouvant, dessein chimérique. Car enfin ce groupe qui se voudra d’Église mais ne sera ni diocèse, ni archidiocèse, ni paroisse, ni ordre religieux, qui n’entrera dans aucun des secteurs sur lesquels et pour lesquels s’exerce l’autorité dans la sainte Église, ce groupe sera artificiel : artefactum étranger aux groupes réels, établis et reconnus. Comme pour tout groupement, le problème du chef et de l’autorité se posera pour ce groupe ; et même avec d’autant plus d’acuité que le groupe sera plus énorme. Nous ne tarderions pas à aboutir à ceci : un groupe, qui, étant une association, ne peut éluder la question de l’autorité ; un groupe qui étant artificiel (par la même en dehors des associations selon la nature et selon la Révélation et la grâce) rendra insoluble la question de l’autorité. Des groupes rivaux ne tarderont pas à s’élever. La guerre en deviendra inévitable. Il n’existera entre les groupes rivaux aucun moyen canonique de mettre fin à cette guerre ni même de la conduire. 

 

Sommes-nous condamnés à l’impuissance au milieu du chaos, et souvent un chaos sacrilège ? Je ne le crois pas. D’abord du fait d’être de Jésus-Christ, l’Église est assurée d’une certitude absolue, de conserver, jusqu’à la fin du monde inclusivement, assez de hiérarchie personnelle authentique pour que se maintiennent les sept sacrements, en particulier les sacrements de l’autel et de l’ordre ; ensuite pour que soit prêchée et enseignée la doctrine du Salut, unique et invariable. (…) Par ailleurs, même dans l’amenuisement progressif - mais toujours limité - de l’autorité hiérarchique personnelle et réelle, nous détenons tous, prêtres et laïcs, chacun pour notre compte, une petite part d’autorité. (…) Donc que le prêtre fidèle qui est apte à instruire et prêcher, absoudre et dire la messe aille jusqu’au bout de son pouvoir et de sa grâce de prêcher et d’instruire, de pardonner les péchés et d’offrir le saint sacrifice dans le rite traditionnel (il va sans dire que l’exercice de ces pouvoirs n’est pas invalidé par la vacatio legis quand elle survient dans l’Église). Que la sœur enseignante aille jusqu’au bout de sa grâce et de son pouvoir de former les jeunes filles dans la foi, les bonnes mœurs, la pureté, les belles-lettres. Que chaque prêtre, chaque laïc, chaque petit groupe de laïcs et de prêtres, ayant autorité et pouvoir de former un petit fortin d’Église et de chrétienté aille jusqu’au bout de ses possibilités et de son pouvoir. Que les chefs de fortin et les occupants ne s’ignorent pas et communiquent entre eux. Que chacun de ces fortins, protégé, défendu, entraîné, dirigé dans sa prière et ses chants par un autorité réelle, devienne autant que possible un bastion de sainteté : voilà qui assurera la continuité certaine de la vraie Église et préparera efficacement les renouveaux pour le jour qui plaira au Seigneur (p. 48-51). 

 

Nous n’avons donc pas à craindre, mais à prier en toute confiance, exercer sans peur, selon la Tradition et dans notre sphère, le pouvoir qui est le nôtre, préparer ainsi les temps heureux où Rome se ressouviendra d’être Rome et les évêques d’être des évêques. (p. 58).

 

De même que l’on parlerait de la charité surnaturelle tout de travers si l’on essayait de l’expliquer en termes d’amour sentimental, (…) de même raisonnerait-on à contresens si, pour pénétrer dans le mystère de l’Église, on allait prendre une analogie, sans peut-être s’en rendre compte, dans les sociétés contre nature, les sociétés révolutionnaires. (…) N’importe quelle analogie ne permet pas de réfléchir à n’importe quel mystère surnaturel (p. 61-62).

Or, la conception de l’Église qui se répand de nos jours a ceci de nouveau qu’elle est une transposition d’une idée fausse et pernicieuse : l’idée rousseauiste ou maçonnique de la société. Si beaucoup de théologiens ou prétendus tels, admirent la collégialité, s’ils applaudissent à telles initiatives d’une pseudo-messianisme qui est une parodie de l’Évangile, c’est qu’ils trouvent tout normal le concept révolutionnaire de société. Dès lors leur théologie de l’Église devient aberrante. La politique fait chavirer leur théologie. (…) C’est contre cette altération radicale, cette falsification perverse du mystère de l’Église que nous avons rappelé la doctrine traditionnelle de la Sancta Civitas (p. 62-63).

 

Non pour nous empêcher d’ouvrir les yeux en obéissant (…) ; non pour nous interdire jamais aucune résistance, quels que soient le contenu de l’ordre donné ou la forme dans laquelle il est donné… (p. 69). Lorsqu’en effet le pape ordonne ou omet de condamner, alors que cela est requis, des actes gravement coupables qui sont contraires soit à la morale, soit même, à certains égards, à la sauvegarde de la foi, il n’agit pas comme Vicaire du Christ. Ce n’est plus Jésus-Christ qui parle par sa bouche. Lui résister alors ce n’est pas résister à Jésus-Christ ; c’est au contraire obéir à Jésus-Christ. C’est, de plus, honorer la dignité de Vicaire de Jésus-Christ que de ne pas lui céder sur un point où il déshonore cette dignité (p. 70).

 

L’Église n’est pas le corps mystique du pape ; l’Église avec le pape est le corps mystique du Christ. Lorsque la vie intérieure des chrétiens est de plus en plus référée à Jésus-Christ, ils ne tombent pas désespérés, même lorsqu’ils souffrent jusqu’à l’agonie des défaillances d’un pape (…), que ce soit, à l’extrême limite, un pape qui défaille selon les nouvelles possibilités de défaillance offertes par le modernisme. Lorsque Jésus-Christ est le principe et l’âme de la vie intérieure des chrétiens ils n’éprouvent pas le besoin de se mentir sur les manquements d’un pape pour demeurer assurés de ses prérogatives ; ils savent que ces manquements n’atteindront jamais un tel degré que Jésus cesserait de gouverner son Église parce qu’il en aurait été efficacement empêché par son Vicaire (p.106-107). 

 

Il paraît certain que, trop souvent, on a prêché un type d’obéissance à l’égard du pape plus soucieuse d’efficacité, de réussite dans les mouvements d’ensemble que de simple fidélité à la lumière. (…) Mais Dieu ni le service du pape n’ont besoin de notre mensonge : Deus non eget nostro mendacio (p.108). Trop souvent, quand il agit de ne pas se couper de Rome, on a formé les fidèles et les prêtres dans le sens d’une crainte en partie mondaine de sorte qu’ils soient pris de panique, qu’ils vacillent dans leur conscience et n’examinent plus rien, aussitôt que le premier venu les accuse de ne pas être avec Rome (p.111). 

 

 

Le modernisme ayant fait entrer l’Église en agonie, il ne suffit pas d’une méditation, même pieuse et apologétique, sur la nature de l’Église, pour se tenir à la hauteur de l’épreuve qui l’accable. Il faut encore, et c’est urgent, veiller auprès du Seigneur Jésus qui est en agonie dans son Église (p.74). Le modernisme n’attaque pas en face mais en dessous et sournoisement, en introduisant partout l’équivoque, aussi bien dans les rites que dans la doctrine. (…)

Accepter les rites nouveaux, serait-ce en y mettant une réelle piété, serait-ce même en prêchant droitement sur la messe, ne serait certainement pas une confession de foi qui ne laisse pas d’échappatoire, ni une réprobation suffisante de l’hérésie dans sa forme actuelle (p. 76). 

En période de révolution, garder intacte la Tradition ne signifie pas : ne pas vivre, mais vivre dans l’ordre – (dans l’ordre limité à notre petit fortin, qui se tient en liaison avec les fortins d’alentour) – puisque l’ensemble du territoire est systématiquement livré à l’anarchie. Vivre dans l’ordre, même à l’intérieur de limites étroites, c’est tout le contraire de somnoler, grogner sans rien faire, se consumer de rage d’impuissante et de dégoût. C’est faire, dans la limite que nous impose la révolution, le maximum de ce que nous pouvons faire pour vivre de la Tradition avec une intelligence et ferveur. Vigilate et orate (p. 77).

 

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Nous achevons notre chapitre sur le Père Calmel et l’Antéchrist par l’insertion de l’article qu’il fit paraître en 1970 dans Itinéraires.

 

 

Notre-Dame du temps de l’Antéchrist 

par R.-Th. Calmel O. P. 

‘Itinéraires’ - N° 139 - Janvier 1970 - p.  205-209

 

JE VOUDRAIS VIVRE au temps de l’Antéchrist » écrivait la petite Thérèse (exactement : « Je voudrais que les tourments (qui seront le partage des chrétiens au temps de l’antéchristme soient réservés… » Lettre à Sœur Marie du Sacré-Cœur dans les Manuscrits autobiographiques) sur son lit d’agonie.

Nul doute que la Carmélite qui s’est livrée en victime d’holocauste à l’amour miséricordieux ne doive intercéder spécialement quand se lèvera l’Antéchrist ; nul doute qu’elle n’intercède déjà tout spécialement en notre époque où les précurseurs de l’Antéchrist ont pénétré dans le sein de l’Église ; nul doute surtout que sa prière ne se perde dans une supplication qui est, pour ainsi dire, infiniment plus puissante : celle de la Vierge Mère de Dieu. Elle qui écrase le Dragon par sa conception immaculée et sa maternité virginale, elle qui est glorifiée jusque dans son corps et qui règne dans le ciel auprès de son Fils, elle domine en souveraine tous les temps de notre histoire et particulièrement les temps plus redoutables pour les âmes : les temps de la venue de l’Antéchrist ou ceux de la préparation de cette venue par ses diaboliques précurseurs. 

 

Marie se manifeste non seulement comme la Vierge puissante et consolatrice dans les heures de détresse pour la cité terrestre et pour la vie corporelle ; elle se montre surtout comme la vierge secourable, forte comme une armée rangée en bataille, dans les périodes de dévastation de la sainte Église et d’agonie spirituelle de ses enfants. Elle est reine pour toute l’histoire du genre humain, non seulement pour les temps de détresse mais pour les temps d’Apocalypse. – Un temps de détresse fut celui de la grande guerre : hécatombes des offensives mal préparées, écrasement implacable sous un ouragan de fer et de feu ; Forêt de Rossignol et Bois des Caures ; Ravin de la mort et Chemin des Dames… Combien d’hommes, ayant bouclé leur ceinturon, partaient avec la certitude terrible de périr dans cette tornade hallucinante, sans jamais voir apparaître la victoire ; parfois même, et c’était le plus atroce, un doute effleurait leur esprit sur la valeur des chefs et le bien-fondé du commandement. Mais enfin sur un point ils n’avaient pas de doute, sur une question qui dépassait toutes les autres celle de l’autorité spirituelle. L’aumônier qui assistait ces hommes voués à servir la patrie jusqu’à la mort était d’une fermeté absolue au sujet de tous les articles de la foi et la pensée ne lui serait jamais venue d’inven­ter je ne sais quelle transformation « pastorale » de la sainte Messe ; il célébrait le saint Sacrifice selon le rite et les paroles antiques ; il le célébrait avec une piété d’autant plus profonde, une supplication d’autant plus ardente qu’ils pouvaient être appelés d’un moment à l’autre, lui prêtre désarmé et ses paroissiens en armes, à unir leur sacrifice de pauvres pécheurs rachetés à l’unique sacrifice du Fils de Dieu qui enlève les péchés du monde. La fidélité de l’aumônier s’appuyait elle-même, tranquillement, à la fidélité de l’autorité hiérarchique qui gardait et défendait la doctrine chrétienne et le culte traditionnel ; qui n’hésitait pas à bannir de la communion catholique les hérétiques et les traîtres. 

 

Sur le front de bataille, tout à l’heure, dans quelques instants peut-être, les corps allaient être broyés, déchiquetés, dans une horreur sans nom ; ce serait peut-être la suffocation inexorable, la lente asphyxie sous une nappe de gaz ; mais malgré le supplice du corps, l’âme resterait intacte, sa sérénité serait inaltérée, son recès suprême ne serait pas menacé, le plus noir des démons, celui des suprêmes mensonges, ne ferait pas entendre son ricanement, l’âme ne serait point livrée à l’attaque perfide, lâchement tolérée, des pseudo-prophètes de la pseudo-église ; malgré le supplice du corps l’âme s’envolerait de la retraite tranquille d’une foi protégée vers la retraite lumineuse de la vision béatifique en Paradis. 

La grande guerre fut un temps de détresse. Nous voici entrés désormais dans un temps d’Apocalypse. Sans doute nous n’en sommes pas encore à l’ouragan de feu qui affole les corps, mais nous en sommes déjà à l’agonie des âmes, parce que l’autorité spirituelle paraît ne plus s’occuper de les défendre, semble se désintéresser aussi bien de la vérité de la doctrine que de l’intégrité du culte, du fait qu’elle renonce ostensiblement à condamner les coupables. C’est l’agonie des âmes dans la sainte Église minée de l’intérieur par les traîtres et les hérétiques qui ne sont toujours pas bannis. (Pendant la durée de l’histoire il y eut déjà d’autres temps d’Apocalypse. Souvenons-nous, par exemple, des interrogatoires de Jeanne d’Arc privée des sacrements par les hommes d’Église, reléguée au fond de son noir cachot sous la garde d’affreux geôliers.) Mais les temps d’Apocalypse sont toujours marqués par les victoires de la grâce. Car même lorsque les bêtes de l’Apocalypse pénètrent jusque dans la cité sainte et l’exposent aux derniers périls, l’Église ne cesse pas de rester l’Église : cité bien-aimée inexpugnable au démon et à ses suppôts, cité pure et sans tache dont Notre-Dame est Reine. 

C’est elle, la Reine immaculée, qui fera raccourcir par le Christ son Fils les années sinistres de l’Anté­christ. Même et surtout durant cette période, elle nous obtiendra de persévérer et de nous sanctifier. Elle nous conservera la part dont nous avons absolument besoin d’autorité spirituelle légitime. Sa présence au Calvaire, debout au pied de la croix, nous le présage infailliblement. Elle se tenait debout au pied de la croix de son Fils, le Fils de Dieu en personne, afin de s’unir plus parfaitement à son sacrifice rédempteur, afin de mériter en lui toute grâce pour les enfants d’adoption. Toute grâce ; la grâce pour affronter les tentations et les tribulations qui jalonnent les existences les plus unies, mais aussi la grâce de persévérer, se relever, se sanctifier dans les pires épreuves ; les épreuves de l’épuisement du corps et les épreuves, bien plus noires, de l’agonie de l’âme ; les temps où la cité charnelle devient la proie des envahisseurs et surtout les temps où l’Église de Jésus-Christ doit résister à l’autodestruction. En se tenant debout au pied de la croix de son Fils, la Vierge Mère dont l’âme fut déchirée par un glaive de douleur, la divine Vierge qui fut broyée et accablée comme nulle créature ne le sera jamais, nous fait saisir, sans laisser de place à l’hésitation, qu’elle sera capable de soutenir les rachetés lors des épreuves les plus inouïes, par une intercession maternelle toute pure et toute puissante. Elle nous persuade, cette Vierge très douce, Reine des martyrs, que la victoire est cachée dans la croix elle-même et qu’elle sera manifestée ; le matin radieux de la résurrection se lèvera bientôt pour le jour sans déclin de l’Église triomphante. 

 

Dans l’Église de Jésus en proie au modernisme jusque parmi les chefs, à tous les degrés de la hiérar­chie, la souffrance des âmes, la brûlure du scandale atteignent une intensité bouleversante ; ce drame est sans précédent ; mais la grâce du Fils de Dieu rédempteur est plus profonde que ce drame. Et l’intercession du Cœur Immaculé de Marie, qui obtient toute grâce, ne s’interrompt jamais. Dans les âmes les plus abattues, les plus près de succomber, la Vierge Marie intervient nuit et jour pour dénouer mystérieusement ce drame, rompre mystérieusement les chaînes que les démons imaginaient incassables. Solve vincla reis

 

Nous tous que le Seigneur Jésus-Christ, par une marque d’honneur singulière, appelle à la fidélité dans ces périls nouveaux, dans cette forme de lutte dont nous n’avions pas l’expérience, – la lutte contre les précurseurs de l’Antéchrist qui se sont introduits dans l’Église, – revenons à notre cœur, revenons à notre foi ; souvenons-nous que nous croyons en la divinité de Jésus, en la maternité divine et la maternité spirituelle de Marie Immaculée. Entrevoyons au moins la plénitude de grâce et de sagesse qui est cachée dans le Cœur du Fils de Dieu fait homme et qui dérive efficacement vers tous ceux qui croient ; entrevoyons aussi la plénitude de tendresse et d’intercession qui est le privilège unique du Cœur Immaculé de la Vierge Marie. Recourons à Notre-Dame comme ses enfants et nous ferons alors l’expérience ineffable que les temps de l’Antéchrist sont les temps de la victoire : victoire de la Rédemption plénière de Jésus-Christ et de l’intercession souveraine de Marie.

R.-Th. Calmel, o. p.

Cardinal Pie : l'Antéchrist

Cardinal PIE : l’Antéchrist (Œuvres, Tome I, 590-594)

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Antéchrist, celui qui nie la supériorité des temps et des pays chré­tiens sur les temps et les pays infidèles ou idolâtres. Car si Jésus-Christ, qui nous a illuminés alors que nous étions assis dans les ténèbres et dans les ombres de la mort, et qui a donné au monde le trésor de la vérité et de la grâce, n’a pas enrichi le monde, je dis même le monde social et politique, de biens meilleurs que ceux qu’il possédait au sein du paga­nisme, c’est que l’œuvre du Christ n’est pas une œuvre divine. Il y a plus : si l’Évangile, qui fait le salut des hommes, est impuissant à pro­curer le véritable progrès des peuples ; si la lumière révélée, profitable aux individus, est préjudiciable aux sociétés ; si le sceptre du Christ, doux et bienfaisant aux âmes, peut-être même aux familles, est mauvais et inacceptable pour les cités et les empires ; en d’autres termes, si Jésus-Christ, à qui les prophètes ont promis et à qui son Père a donné les nations en héritage, ne peut exercer sa puissance sur elles qu’à leur détri­ment et pour leur malheur temporel, il en faut conclure que Jésus-Christ n’est pas Dieu. Car, ni dans sa personne, ni dans l’exercice de ses droits, Jésus-Christ ne peut être divisé, dissous, fractionné ; en lui la dis­tinction des natures et des opérations ne peut jamais être la séparation, l’opposition ; le divin ne peut être antipathique à l’humain, ni l’humain au divin. Au contraire, il est la paix, le rapprochement, la réconciliation, il est le trait d’union « qui fait les deux choses une »: ipse est pax nostra qui fecit utraque unum (Eph. 2, 14). C’est pourquoi saint Jean nous dit : « Tout esprit qui dissout Jésus, n’est pas de Dieu, et c’est proprement lui qui est cet antéchrist dont vous avez entendu dire qu’il vient, et qu’il est déjà maintenant dans le monde » : Et omnis spiritus qui solvit Jesum, ex Deo non est ; et hic est antichristus de quo audistis quoniam venit, et nunc jam in mundo est (1 Jn. 4/ 3). Lors donc que j’entends certains bruits qui montent, certains aphorismes qui prévalent de jour en jour, et qui introduisent au cœur des sociétés le dissolvant sous l’action duquel doit périr le monde, « je jette ce cri d’alarme : Prenez garde à l’antéchrist » : Unum moneo : cavete antichristum.

 

Nous pourrions, Nos Très Chers Frères, étendre encore le détail des erreurs qui s’accréditent chaque jour autour de nous, et qui constituent tout ce système qu’on peut appeler l’antichristianisme. Ce que nous avons dit est plus que suffisant pour exciter votre vigilance, et pour vous rendre de plus en plus défiants envers toute doctrine qui ne procède pas de l’Église [...]

Demeurez donc fermes dans la foi antique et invariable de la sainte Église, Nos Très Chers Frères ; « soyez des hommes, et ne soyez pas des enfants qui flottent et qui se laissent aller à tous les vents des opinions, séduits par les tromperies humaines et par les menées astucieuses de l’erreur qui les circonvient » (Éph. 4, 14). Le divin Sauveur a dit, en prédisant le temps de la ruine de Jérusalem : « Malheur à quiconque sera alors dans les douleurs de l’enfantement ou dans la période de l’allaitement » (Mt. 24, 19) ! Ce que saint Hilaire explique ainsi : « Dans les jours orageux et difficiles de l’Église, malheur aux âmes travaillées par le doute, et chez qui la foi, la piété ne seront encore qu’à l’état de conception ou de première nutrition. Les unes, surprises dans l’embarras de leur incertitude, et attar­dées par les irrésolutions de leur esprit en travail, seront trop pesantes pour échapper aux poursuites de l’antéchrist ; les autres, n’ayant encore que dégus­té les mystères de la foi, et n’étant imbues que d’une faible dose de science divine, manqueront de la force et de l’habileté nécessaires pour soutenir de si grands assauts » (Comment, in Mt. 25, 6). C’est cet alourdissement et cette débilitation des âmes qui rendront les derniers temps si perni­cieux, et qui occasionneront tant de défections.

En revanche, saint Augustin fait ressortir combien ces jours d’épreu­ve donnent de lustre et d’accroissement au mérite des âmes fidèles. Commentant ces mots de l’Apocalypse : « Il faut ensuite que le diable soit délié quelque temps » 

(Apoc. 20, 3), il montre que le démon n’est jamais lié d’une façon absolue pendant la vie de l’Église militante, mais que pourtant il l’est souvent en ce sens qu’il ne lui est pas permis d’user de toute sa force ni de toute sa ruse pour séduire les hommes. Car, s’il avait cette pleine puissance durant le cours de tous les siècles, l’infirmi­té du grand nombre est telle que beaucoup de faibles, dont il plaît à Dieu de grossir et de remplir son Église, seraient détournés de croire ou deviendraient apostats de leur croyance : ce que Dieu ne veut pas souf­frir ; et voilà pourquoi le démon est en partie lié. Mais, d’autre part, s’il n’était jamais déchaîné, la puissance de sa malice serait moins connue, la patience de la cité sainte serait moins exercée, et l’on comprendrait moins l’immense fruit que le Tout-Puissant a su tirer de l’immense force du mal. Le Seigneur le déliera donc pour un temps, afin de faire éclater l’énergie avec laquelle la cité de Dieu aura surmonté un si terrible adver­saire, et cela à la grande gloire de son rédempteur, de son aide, de son libérateur. Et le saint docteur va jusqu’à dire à ses contemporains : « Pour nous, mes frères, que sommes-nous et quel mérite avons-nous en comparaison des saints et des fidèles qui seront alors, puisque, pour les éprouver, ce même ennemi sera déchaîné, que nous avons déjà, nous, tant de peine à combattre et à vaincre alors qu’il est lié ».

Courage, donc, Nos Très Chers Frères. Plus la religion est attaquée, plus l’Église est battue en brèche de toutes parts, plus les doctrines d’er­reur et de perversion morale envahissent les discours, les livres, les théâtres et remplissent tout l’air de leurs miasmes pestilentiels, plus aussi vous pouvez acquérir devant Dieu de grandeur, de perfection, de mérite, si vous parvenez à éviter la contagion, si vous ne vous laissez ébranler dans aucune de vos convictions, et si vous demeurez pleine­ment fidèles au Seigneur Jésus que tant d’autres ont la faiblesse et le malheur d’abandonner. Ne vous laissez point éblouir par la force et le nombre des assaillants, ni par les avantages des adversaires de Jésus-Christ. Il est écrit que les méchants et les séducteurs réaliseront un pro­grès sur la terre, le progrès dans le mal, le progrès dans la destruction, le progrès dans la désorganisation : proficient in pejus (2 Tim. 3/ 13); mais il est écrit aussi que ce genre de succès ne durera jamais longtemps, et que les hommes qui résistent à la vérité, gens corrompus dans leur esprit et réprouvés au regard de la foi, ne tarderont pas à être convain­cus de folie comme tous leurs devanciers dans la même voie.

Persévérez dans la foi, Nos Très Chers Frères ; persévérez aussi dans  les œuvres, surtout dans les œuvres de la charité. C’est une doctrine constante, et qu’on ne doit abandonner à aucun prix, qu’il appartient à ceux qui croient à Dieu de se mettre en tête des bonnes œuvres : l’hu­manité, et principalement l’humanité souffrante trouvera toujours son avantage à ce qu’il en soit ainsi. N’avons-nous pas entendu dire, en ces derniers jours encore, que l’aumône faite par un sentiment surnaturel et selon les traditions de la piété chrétienne, n’est plus de mise au sein de nos sociétés, et que son cachet « ecclésiastique » est une atteinte à la dignité de ceux qu’elle entreprend de soulager ? Ainsi, dans l’ardeur qu’il met à séculariser toutes choses, le naturalisme entend que la bienfai­sance demeure humaine, demeure profane, et qu’elle n’ait rien de com­mun avec l’ordre de la grâce et du salut. Propos exécrable, et qui, s’il pouvait parvenir à décourager la charité chrétienne et sacerdotale, n’aboutirait à rien moins qu’à tarir les plus abondantes et les plus opportunes ressources des malheureux.

 

Ah ! vous dirai-je encore ici : « Prenez garde à l’antéchrist » : Unum moneo : cavete antechristum. Ou plutôt, ayez les yeux toujours attachés sur le Christ, sur l’Enfant-Dieu de l’étable de Bethléem, sur l’ouvrier-Dieu de l’atelier de Nazareth, sur celui qui, étant riche par nature, s’est fait pauvre pour nous enrichir par sa détresse, sur celui qui sera un jour notre juge, et qui, en considéra­tion de ces multitudes d’ouvriers indigents et privés de travail que vous aurez soulagés par amour pour lui, vous mettra en possession du royau­me que son Père vous a préparé.

Notre-Dame et l’Antéchrist
Notre-Dame et l’Antéchrist

Secret de Notre-Dame de La Salette, 19 septembre 1846

(…) Un avant-coureur de l'antéchrist, avec ses troupes de plusieurs nations combattra contre le vrai Christ, le seul Sauveur du monde ; il répandra beaucoup de sang et voudra anéantir le culte de Dieu pour se faire regarder comme un dieu.
La terre sera frappée de toutes sortes de plaies (outre la peste et la famine, qui seront générales) ; il y aura des guerres jusqu'à la dernière guerre qui sera alors faite par les dix rois de l'antéchrist, lesquels rois auront tous un même dessein et seront les seuls qui gouverneront le monde.
Avant que ceci arrive, il y aura une espèce de fausse paix dans le monde ; on ne pensera qu'à se divertir ; les méchants se livreront à toutes sortes de péchés ; mais les enfants de la Sainte Église, les enfants de la foi, mes vrais imitateurs croîtront dans l'amour de Dieu et dans les vertus qui me sont les plus chères.
Heureuses les âmes humbles, conduites par l'Esprit-Saint ! Je combattrai avec elles jusqu'à ce qu'elles arrivent à la plénitude de l'âge.
La nature demande vengeance pour les hommes, et elle frémit d'épouvante dans l'attente de ce qui doit arriver à la terre souillée de crimes.
Tremblez, terre, et vous qui faites profession de servir Jésus-Christ et qui, au-dedans, vous adorez vous-même ; tremblez, car Dieu va vous livrer à son ennemi, parce que les lieux saints sont dans la corruption ; beaucoup de couvents ne sont plus les maisons de Dieu, mais les pâturages d'Asmodée et des siens.
Ce sera pendant ce temps que naîtra l'antéchrist, d'une religieuse hébraïque, d'une fausse vierge qui aura communication avec le vieux serpent, le maître de l'impureté ; son père sera évêque. En naissant, il vomira des blasphèmes, il aura des dents ; en un mot, ce sera le diable incarné ; il poussera des cris effrayants, il fera des prodiges, il ne se nourrira que d'impuretés.
Il aura des frères qui, quoiqu'ils ne soient pas comme lui des démons incarnés, seront des enfants de mal ; à douze ans, ils se feront remarquer par leurs vaillantes victoires qu'ils remporteront ; bientôt, ils seront chacun à la tête des armées, assistés par des légions de l'enfer.
Les saisons seront changées, la terre ne produira que de mauvais fruits, les astres perdront leurs mouvements réguliers, la lune ne reflétera qu'une faible lumière rougeâtre ; l'eau et le feu donneront au globe de la terre des mouvements convulsifs et d'horribles tremblements de terre qui feront engloutir des montagnes, des villes, etc...
Rome perdra la foi et deviendra le siège de l'antéchrist.
Les démons de l'air avec l'antéchrist feront de grands prodiges sur la terre et dans les airs et les hommes se pervertiront de plus en plus. Dieu aura soin de ses fidèles serviteurs et des hommes de bonne volonté ; l'Évangile sera prêché partout ; tous les peuples et toutes les nations auront connaissance de la vérité !
J'adresse un pressant appel à la terre ; j'appelle les vrais disciples du Dieu vivant et régnant dans les cieux ; j'appelle les vrais imitateurs du Christ fait homme, le seul et vrai Sauveur des hommes ; j'appelle mes enfants, mes vrais dévots, ceux qui se sont donnés à moi pour que je les conduise à mon divin Fils, ceux que je porte pour ainsi dire dans mes bras, ceux qui ont vécu de mon esprit.

Enfin, j'appelle les Apôtres des derniers temps, les fidèles disciples de Jésus-Christ qui ont vécu dans un mépris du monde et d'eux-mêmes, dans la pauvreté et dans l'humilité, dans le mépris et le silence, dans l'oraison et dans la mortification, dans la chasteté et dans l'union avec Dieu, dans la souffrance et inconnus du monde.

Il est temps qu'ils sortent et viennent éclairer la terre. Allez et montrez-vous comme mes enfants chéris ; je suis avec vous en vous pourvu que votre foi soit la lumière qui vous éclaire dans ces jours de malheurs.

Que votre zèle vous rende comme des affamés pour la gloire et l'honneur de Jésus-Christ.


Combattez, enfants de lumière, vous petit nombre qui y voyez ; car voici le temps des temps, la fin des fins.
L'Église sera éclipsée, le monde sera dans la consternation. Mais voilà Enoch et Elie remplis de l'Esprit de Dieu ; ils prêcheront avec la force de Dieu et les hommes de bonne volonté croiront en Dieu, et beaucoup d'âmes seront consolées ; ils feront de grands progrès par la vertu du Saint-Esprit et condamneront les erreurs diaboliques de l'antéchrist.
Malheur aux habitants de la terre ! il y aura des guerres sanglantes et des famines, des pestes et des maladies contagieuses ; il y aura des pluies d'une grêle effroyable ; des tonnerres qui ébranleront des villes ; des tremblements de terre qui engloutiront des pays ; on entendra des voix dans les airs ; les hommes se battront la tête contre les murailles ; ils appelleront la mort et, d'un autre côté, la mort sera leur supplice ; le sang coulera de tous côtés.


Qui pourra vaincre, si Dieu ne diminue le temps de l'épreuve ?


Par le sang, les larmes et les prières des justes, Dieu se laissera fléchir ; Enoch et Elie seront mis à mort ; Rome païenne disparaîtra ; le feu du Ciel tombera et consumera trois villes ; tout l'univers sera frappé de terreur, et beaucoup se laisseront séduire parce qu'ils n'ont pas adoré le vrai Christ vivant parmi eux.


Il est temps ; le soleil s'obscurcit ; la foi seule vivra.

Voici le temps ; l'abîme s'ouvre.

Voici le roi des rois des ténèbres.
Voici la bête avec ses sujets, se disant le sauveur du monde. Il s'élèvera avec orgueil dans les airs pour aller jusqu'au Ciel ; il sera étouffé par le souffle de Saint Michel Archange. Il tombera, et la terre qui, depuis trois jours, sera en de continuelles évolutions, ouvrira son sein plein de feu ; il sera plongé pour jamais avec tous les siens dans les gouffres éternels de l'enfer.


Alors, l'eau et le feu purifieront la terre et consumeront toutes les œuvres de l'orgueil de l'homme, et tout sera renouvelé : Dieu sera servi et glorifié.

Rome est dans l'apostasie

Rome est dans l'apostasie

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Conférence de Mgr Lefebvre lors de la retraite des prêtres de la Fraternité Saint-Pie X
4 septembre 1987

 

Rome est dans l'apostasie

Il nous faut tenir, absolument tenir, tenir envers et contre tout. Et alors, maintenant j'en arrive à ce qui vous intéresse sans doute davantage ; mais moi, je dis : Rome a perdu la foi, mes chers amis. Rome est dans l'apostasie. Ce ne sont pas des paroles, ce ne sont pas des mots en l'air que je vous dis. C'est la vérité. Rome est dans l'apostasie. On ne peut plus avoir confiance dans ce monde-là, il a quitté l'église, Ils ont quitté l'Église. Ils quittent l'Église C'est sûr, sûr, sûr.

 

On ne peut pas s'entendre

Je l'ai résumé au cardinal Ratzinger en quelques mots, n'est-ce pas, parce que c'est difficile de résumer toute cette situation ; mais je lui ai dit : 

« Éminence, voyez, même si vous nous accordez un évêque, même si vous nous accordez une certaine autonomie par rapport aux évêques, même si vous nous accordez toute la liturgie de 1962, si vous nous accordez de continuer les séminaires et la Fraternité, comme nous le faisons maintenant, nous ne pouvons pas collaborer, c'est impossible, impossible, parce que nous travaillons dans deux directions diamétralement opposées : vous, vous travaillez à la déchristianisation de la société, de la personne humaine et de l'Église, et nous, nous travaillons à la christianisation. On ne peut pas s'entendre. »

Alors, je lui ai dit : « Pour nous, le Christ c'est tout ; Notre-Seigneur Jésus-Christ c'est tout, c'est notre vie. L'Église, c'est Notre-Seigneur Jésus-Christ, c'est Son épouse mystique. Le prêtre, c'est un autre Christ ; sa messe, c'est le sacrifice de Jésus-Christ et le triomphe de Jésus-Christ par la croix. Notre séminaire : on y apprend à aimer le Christ, et on est tout tendu vers le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Notre apostolat, c'est le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Voilà ce que nous sommes. Et vous, vous faites le contraire. Vous venez de me dire que la société ne doit pas être chrétienne, ne peut pas être chrétienne ; que c'est contre sa nature ! Vous venez de vouloir me prouver que Notre-Seigneur Jésus-Christ ne peut pas et ne doit pas régner dans les sociétés ! Et vous voulez prouver que la conscience humaine est libre vis-à-vis de Notre-Seigneur Jésus-Christ ! – 'Il faut leur laisser la liberté et un espace social autonome', comme vous dites. C'est la déchristianisation. Eh bien nous, nous sommes pour la christianisation ».

Voilà. On ne peut pas s'entendre. Et c'est cela, je vous assure, c'est le résumé. On ne peut pas suivre ces gens-là.

 

La divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ contre l'œcuménisme et la liberté religieuse

C'est l'apostasie. Ils ne croient plus à la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui doit régner.

Pourquoi ? Parce que cela va contre l'œcuménisme. Voilà. Cela va contre la liberté religieuse et contre l'œcuménisme. La liberté religieuse, l'œcuménisme, cela se touche, c'est la même chose.

Parce que si la société est chrétienne, si Notre-Seigneur règne sur la société, alors, comment est-ce que l'on va pouvoir être bien avec les juifs, avec les protestants, avec les musulmans, avec les bouddhistes, etc. ? On ne peut plus faire d'œcuménisme, ce n'est plus possible. Si l'on met Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec Sa croix, qui doit régner sur la société, c'est fini, ce n'est plus possible. Alors, cachons la croix de Jésus-Christ, cachons Notre-Seigneur Jésus-Christ, ne parlons plus de Notre-Seigneur Jésus-Christ dans la société, la société multireligieuse, pluraliste, etc. Non, ce n'est pas possible, pas possible !

De même, la personnalité humaine libre, n'est-ce pas, on la déchristianise aussi. Alors qu'elle doit croire – elle n'est pas libre – elle doit croire, sinon elle est condamnée. C'est Notre-Seigneur qui l'a dit. C'est vrai ou ce n'est pas vrai, cela ? Alors, si elle doit croire, elle n'est plus libre.

« La liberté de la conscience, l'espace social autonome » : voilà leurs grands mots. Qu'est-ce que cela veut dire ? Espace social autonome pour tous les sentiments religieux et les idées religieuses que l'homme peut concevoir dans sa conscience. Je vous demande un peu. Évidemment, derrière cela, il y a la moralité qui suit. Il n'y a pas seulement les idées ; derrière les idées, évidemment, il y a l'immoralité qui vient avec tout ça.

Alors, liberté, espace social autonome... Jusqu'où cela va, l'espace social autonome ? « Jusqu'à l'ordre public ». Si cela ne dérange pas l'ordre public, alors, on est libre, la société n'a rien à y voir. C'est inconcevable, inconcevable.

 

Le sacre des rois « une période exceptionnelle et anormale »

Cela, il me l'a dit le 14 juillet, il a commencé par ça. Par vouloir me prouver que l'État ne devait pas avoir de religion. Et que c'est dans sa nature.

Alors, je lui ai dit : « Mais enfin, il y a quinze siècles d'Église qui s'inscrivent contre ce que vous dites, Éminence, voyons ! tout de même. Et le sacre des rois, qu'est-ce que c'était que le sacre des rois et des princes ? Sinon supplier, demander à Dieu de leur donner la foi catholique, de leur donner la force de garder la foi catholique dans leurs pays, d'étendre les moeurs chrétiennes, les vertus chrétiennes, de défendre l'Église contre ses ennemis, etc. C'était tout le sacre du roi. On lui donnait l'épée, pourquoi ? Pour défendre (la chrétienté) contre les ennemis de la foi.

- Ah, mais cela, c'est une période exceptionnelle et anormale.

- Ça alors, quinze siècles !... c'est pas mal.

- C'est anormal. Nous, nous rattachons à l'Évangile. »

Se rattacher à l'Évangile, je vous demande un peu, c'est facile à dire. C'est absolument faux. Comme si saint Paul n'avait pas dit : Oportet illum regnare, « il faut qu'Il règne ». Tout est pour le règne de Notre-Seigneur dans l'Évangile, voyons. Enfin, quand même ! Ou bien alors, il n'y a plus d'Évangile. C'est incroyable, incroyable !

Alors, comment voulez-vous que l'on puisse se fier à des gens comme cela ? Ce n'est plus possible.

 

La réponse aux dubia est plus grave qu'Assise

Alors, évidemment, ils ont été un peu effrayés par le sermon du 29 juin. Il m'en a parlé, il l'a lu par conséquent, il l'a écouté en tout cas sur une cassette, je suppose. Et alors, il m'a dit :  « Comment se fait-il que vous trouviez que la réponse aux objections que vous avez envoyées pour la liberté religieuse, notre réponse, est plus grave qu'Assise ? Vous dites que c'est plus dangereux qu'Assise ».

J'ai dit : 

« Évidemment ! C'est toujours plus grave d'adhérer à un principe que de faire un simple acte. C'est le principe qui est à la source de tous les actes, qui est à la source de l'action et, par conséquent, avec un principe comme celui du libéralisme et de la liberté religieuse, eh bien, c'est cela qui vous fait faire l’œcuménisme, c'est ça qui vous fait faire la laïcité des États, n'est-ce pas, qui réclame la laïcité des États, et ainsi de suite. Alors, c'est bien plus grave. Assise, c'est très grave, c'est une apostasie, mais c'était un fait, un acte ; ce n'est pas un principe, c'est le résultat d'un principe ».

 

Un visiteur pour nous contraindre à les suivre

Alors, vous savez que le 28 juillet, il m'a envoyé une lettre pour faire des propositions, soi-disant des propositions concrètes. Moi, j'ai toujours demandé qu'ils nous envoient un visiteur, qu'ils envoient, si possible, quelqu'un qui vienne voir, qui vienne se rendre compte, quelqu'un qui vienne pour parler tout simplement, pour voir, constater un peu ce que nous faisons, sans juger, sans porter de jugement, sans prendre de décisions.

Mais cela, ils ne le veulent pas. Ils veulent bien envoyer un visiteur, mais à la condition qu'il ait des pouvoirs très importants. Or, cela est inadmissible. Pouvoirs très importants pour nous contraindre à les suivre.

Ils veulent bien nous donner un évêque, ils veulent bien nous donner la liturgie de 1962 (les quatre livres liturgiques de 1962), ils veulent bien nous donner une certaine autonomie, comme ils mettent dans la lettre... – je pense que beaucoup d'entre vous peut-être déjà en ont eu connaissance : 

« Le Saint-Siège est disposé à concéder à la Fraternité sa juste autonomie et à lui garantir la continuité de la liturgie selon les livres liturgiques en vigueur dans l'Église en 1962, le droit de former des séminaristes dans des séminaires propres, selon le charisme particulier de la Fraternité, l'ordination sacerdotale des candidats au sacerdoce sous la responsabilité que, jusqu'à nouvelle décision, assumera le cardinal visiteur... »

Ah ! voyez : « l'ordination sacerdotale des candidats au sacerdoce » ; nous ne pourrons plus rien dire, ni le Supérieur général, ni moi-même, ni personne, ni le supérieur du séminaire n'aura plus rien à dire sur les ordinations sacerdotales. C'est le cardinal visiteur qui en prend la responsabilité.

« En attendant l'approbation de la structure juridique définitive de la Fraternité, le cardinal visiteur se portera garant de l'orthodoxie de l'enseignement dans les séminaires », (quelle orthodoxie, je vous demande un peu, avec ce qu'ils enseignent, ce n'est pas possible !), de l'esprit ecclésial et de l'unité avec le Saint-Siège.

Qu'est-ce qui nous reste ? Il ne nous reste plus qu'à fermer le séminaire ! Vous pensez bien : « orthodoxie, esprit ecclésial, unité avec le Saint-Siège », il faut traduire cela par : « Suivez-nous ! Allez, pas d'histoires ».

Ce n'est pas difficile pour le cardinal visiteur de demander aux séminaristes :

« Écoutez, maintenant, voyez-vous, les choses vont s'arranger entre la Fraternité et le Saint-Siège. Par conséquent, il y aura des relations normales entre les évêques et la Fraternité, là où seront les prieurés. Évidemment, vous aurez l'autorisation de dire la messe de saint Pie V, c'est entendu ; mais si votre évêque vous invite à concélébrer avec lui pour la fête patronale du diocèse, avec la messe nouvelle bien sûr, vous n'allez pas lui refuser.

- Ah non, moi, je ne dis pas la messe nouvelle !

- Ah, bien, mon cher ami, vous attendrez pour votre ordination. »

Ce n'est pas compliqué. Cela, c'est sûr.

Ensuite : 

« J'espère que vous êtes bien d'accord pour accepter le Concile dans son ensemble ?

- Ah, pas la liberté religieuse, ce n'est pas possible !

- Mon cher ami, vous attendrez votre ordination aussi. »

 

Ce n'est pas possible

Ce n'est pas possible, c'est clair. Au lieu de s'adresser à moi pour demander une signature au nom de toute la Fraternité, il va s'adresser maintenant aux candidats au sacerdoce, il va les éplucher, n'est-ce pas.

Et encore : « l'orthodoxie de l'enseignement dans les séminaires ». Donc, il va vérifier dans les séminaires, il va pouvoir interroger tous les séminaristes pour savoir ce que chaque séminariste pense ; et alors, à l'avance, déjà imposer des lignes, des limites, renvoyer, etc.

Ce n'est pas possible, nous ne sommes plus les maîtres.

Alors le cardinal Oddi me téléphone, il y a trois jours, et il me dit :

« Alors, j'espère que vous allez accepter les propositions du Saint-Siège ». J'ai dit : « Sûrement pas ! » ; j'ai dit : « Sûrement pas ; pas un cardinal, comme ça, qui va venir comme visiteur et qui aura tous les pouvoirs. Cela n'est pas possible, voyons, quand même. Pour qui nous prend-on ? Non, ce n'est pas possible. Nous voulons bien un visiteur, et surtout si c'est vous, Éminence, on vous recevra avec beaucoup de sympathie ». Il a rigolé, il a dit : « Oui, je ne pense pas que l'on vous enverra le cardinal Garrone ! »

« Surtout acceptez, acceptez ! Il faut accepter » ! 

Alors, lui, vous savez comment il est..., rondelet ! je crois qu'il est de Piacenza, ou quelque chose comme ça. Alors, c'est déjà un peu... ce n'est pas le midi de l'Italie, mais enfin, bon, c'est... ce n'est pas dans le nord. Alors, c'est lui qui me disait, n'est-ce pas : « Mais, Mgr, signez, signez ! puis vous ferez ce que vous voudrez après ». Avec un cardinal comme cela, qu'est-ce que vous voulez faire ?

 

Minimiser et magnifier

Et puis je le (le visiteur) vois d'ici, je le vois au milieu de nous, et avec de petits groupes, il va aller se promener avec des séminaristes :

« Mais vous exagérez les difficultés. Mais voyons, le Concile : mais vous prenez ce que vous voulez, il ne faut pas comprendre le Concile à la lettre... mais ceci, mais cela... » Minimiser, minimiser, minimiser nos difficultés, n'est-ce pas, minimiser notre résistance. « Mais la liturgie, la liturgie... : puisqu'on vous accorde la messe de saint Pie V, vous pouvez quand même bien dire une fois de temps en temps la messe nouvelle. Elle n'est pas hérétique. Elle n'est pas schismatique. Il ne faut pas exagérer. » Minimiser, minimiser ; et puis, au contraire, magnifier ce que le Saint-Siège va nous donner : « Il faut s'entendre... Qu'est-ce que vous attendez ? Il ne faut pas être comme cela avec des catégories et un esprit difficile ».

 

Faites confiance

Alors, « ... au cours de cette période, le cardinal visiteur décidera également de l'admission des séminaristes au sacerdoce (c'est en toutes lettres, vous voyez), en tenant compte de l'avis des supérieurs compétents ».

Bon. Mais ce n'est pas sûr.

Voilà. Vous voyez : ils sont prêts à envoyer un cardinal visiteur, « dans le but de trouver une formule juridique conforme aux normes du droit canon actuellement en vigueur ».

Donc, évidemment, nous pourrions demander un cardinal visiteur sans pouvoirs. Cela, je ne sais pas s'ils en seraient d'accord.

Mais, même s'ils sont d'accord pour cela, j'ai très peur que ce cardinal visiteur, s'il est un peu habile, se présente comme un conciliateur et arrive, je dirai, à influencer les esprits et à finir par nous diviser. Pourquoi ? Parce qu'il va tellement bien s'y prendre pour expliquer : « Mais Rome, mais Rome, mais Rome... ; vous savez, il n'y a pas de danger. Il ne faut pas avoir peur. Faites confiance ». Alors bon, il y en a qui vont dire : « Pourquoi pas, pourquoi pas ? » D'autres diront : Attention, attention, prenons garde derrière tout cela, on sait très bien comment ça s'est déjà passé. On sait très bien comment cela s'est passé à Fontgombault. On sait très bien comment cela s'est passé chez Dom Augustin. On sait très bien comment cela s'est passé avec les séminaristes qui sont partis et auxquels ils ont promis monts et merveilles, quand ils sont allés à Rome, et puis ensuite : « Allez-vous-en dans les différents séminaires, et laissez-nous en paix avec la messe de saint Pie V ».

 

Leur but, c'est d'en finir avec la Tradition

C'est comme cela. Partout, ils ont toujours leur même but, on le sent bien, c'est d'en finir avec la Tradition, d'en finir avec cette messe de saint Pie V. Alors, on la donne un petit peu, mais à la condition que l'on accepte l'autre. Et puis, tout doucement on ramène à l'autre. C'est comme cela.

Alors, il n'y a pas de raison qu'ils ne fassent pas cela avec nous, pas de raison. Nous sommes un morceau un peu plus gros à avaler, un peu plus dur, mais le but est le même pour eux. C'est la même chose.

Voyez : on nous appâte avec la liturgie, avec le séminaire « selon notre charisme », etc. Mais toujours : « Soumission au Saint-Siège, unité avec le Saint-Siège, esprit ecclésial ! » C'est clair. Et cela, ils le répètent au moins quatre ou cinq fois dans la lettre. C'est clair, ce n'est pas possible.

Ils le mettent tout de suite au début, parce qu'ils refusent, bien sûr : 

« Le Saint-Siège ne peut accorder des auxiliaires à la Fraternité sans que celle-ci soit dotée d'une structure juridique adéquate et sans que ses rapports avec ce même Siège apostolique soient bien réglés au préalable. (...) En raison de l'institution divine de l'Église, une telle situation juridique comporte nécessairement révérence et obéissance de la part des supérieurs et des membres de la Fraternité à l'égard du successeur de Pierre, le Vicaire du Christ. Dans les limites de cette obéissance et dans le cadre des normes canoniques, le Saint-Siège est disposé à concéder, etc. »

 

Nous avons affaire à des gens qui n'ont plus l'esprit catholique

Vous voyez tout de suite ce cadre dans lequel ils veulent nous enfermer, c'est clair. Personnellement, je ne crois pas que ce soit possible. Et, vraiment, Je crois que nous avons affaire à des gens qui n'ont plus l'esprit catholique, qui n'ont plus l'esprit catholique.

Alors, c'est un mystère, un mystère inconcevable, invraisemblable. Mais il y a sûrement une clé à ce mystère. Quand le saurons-nous, quand la verrons-nous ? Quand saurons-nous ce qu'il y a derrière cela ? Je n'en sais rien. Mais en tout cas, il y a quelque chose, ce n'est pas possible autrement. Que celui qui est assis sur la chaire de Pierre ait fait Assise : inconcevable ! Qu'il ait encore envoyé cette année à Kyoto, là-bas, au Japon, au parlement des religions, une délégation représentant Notre-Seigneur, représentant l'Église catholique, quand même ! Notre-Seigneur, le Vicaire du Christ, eh bien, qui a été mis le quatrième, au quatrième rang parmi les religions. Enfin ! vous croyez que celui qui fait cela, celui qui accepte cela, croit encore à la divinité de Notre-Seigneur Jésus-Christ ? Ce n'est pas possible ! Ce n'est pas possible !

Et personne ne dit rien. Et personne n'élève la voix. Et aucun cardinal n'élève la voix. Et tout le monde se tait. Et toute la Curie romaine est derrière tout cela. C'est l'abomination, vraiment l'abomination.

Notre-Seigneur au milieu de ces païens, des païens ! Les Japonais sont des païens, ils adorent des divinités païennes, vraiment. Enfin, il en va de même, d'ailleurs, pour les autres, il ne faut pas se faire d'illusions ; mais enfin, là, ce sont spécifiquement des idoles, ils adorent des idoles.

 

L'éloignement de Rome de la Tradition

Oh ! non, non, cela n'est pas possible, cela n'est pas possible. Alors, je pense que plus cela va... Moi, je vous avoue que j'avais toujours beaucoup prié pour que Notre-Seigneur nous montre ou le retour de Rome à la Tradition, ou l'aggravation, l'éloignement de Rome de la Tradition, pour que cela soit plus clair, pour que nos décisions soient plus faciles, parce que cela n'est pas facile de prendre des décisions maintenant dans des conditions pareilles.

Or, il est clair que les circonstances, actuellement, eh bien, montrent que c'est l'éloignement de l'Église qui est maintenant caractérisé, bien plus qu'il y a un an ou deux. Bien plus. Bien plus.

Cette réponse aux objections, n'est-ce pas, qui déchristianise la société par sa définition : ce n'est pas une tolérance, ce n'est pas simplement une tolérance de la société. (Bon. La société est païenne, on tolère, mais elle devrait être chrétienne, elle devrait être soumise à Notre-Seigneur, etc.) Non, non, non, c'est sa définition. C'est désormais une chose par nature : la société n'est pas chrétienne, ne doit pas être chrétienne. Elle ne doit pas être religieuse. C'est invraisemblable !

 

Excommunié par des anti-Christ

Alors, (du fait de) cette déchristianisation, Je pense que l'on peut dire que ces personnes qui occupent Rome aujourd'hui sont des anti-Christ. Je ne dis pas Antéchrist, je dis anti-Christ, comme le dit saint Jean. « Déjà, l'anti-Christ sévit de notre temps », dit saint Jean dans sa première lettre. L'anti-Christ, des anti-Christ. Ils sont anti-Christ, c'est sûr, absolument certain. Alors, devant une situation comme celle-là, je crois que nous n'avons pas à nous préoccuper des réactions de ces gens-là, qui, nécessairement, sont contre nous. Comme je l'ai dit au cardinal : « Nous sommes tout pour le Christ et eux, ils sont contre le Christ. Comment voulez que l'on puisse s'entendre ? ».

Alors, eux nous condamnent parce qu'on ne veut pas les suivre. Donc, on peut résumer la situation en disant : « Si vous faites des évêques, vous serez excommunié ». Oui, je serai excommunié.

Mais excommunié par qui et pourquoi ?

Excommunié par ceux qui sont des anti-Christ, qui n'ont plus l'esprit catholique.

Et nous sommes condamnés pourquoi ?

Parce que nous voulons rester catholiques. C'est vraiment la raison pour laquelle nous sommes poursuivis, c'est parce que nous voulons rester catholiques. Nous sommes poursuivis parce que nous voulons garder la messe catholique, parce que nous voulons garder la foi catholique, parce que nous voulons garder le sacerdoce catholique. Nous sommes poursuivis à cause de cela.

C'est sûr, c'est clair, n'est-ce pas : tous ceux qui ont été poursuivis, tous les curés qui ont été chassés de leurs paroisses, tous les prêtres de Campos qui sont poursuivis, persécutés, pourquoi sont-ils poursuivis ? A cause de la messe, la messe justement ancienne qui est le triomphe de Notre-Seigneur Jésus-Christ en croix, qui règne par Sa croix ; qui est la manifestation du règne de Notre-Seigneur sur la société, pas seulement sur les familles et les individus, mais sur la société aussi : toute la société réunie autour de l'autel, proclamant la royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ par Sa croix, par Son sacrifice.

De cela, on n'en veut plus. Évidemment, pour les protestants, c'est un blasphème. Alors, pour faire plaisir aux protestants, on a déchristianisé la messe. Elle est pratiquement déchristianisée, cela devient maintenant une assemblée, une eucharistie, un repas, un partage, une communion, et tout ce que vous voudrez. Mais ce n'est plus le Christ qui règne, ce n'est plus le sacrifice de Notre-Seigneur Jésus-Christ, rédempteur et propitiatoire.

C'est affreux de penser à cette situation. C'est un grand mystère, c'est sûr. Alors, qu'il y en ait parmi vous qui tremblent un petit peu à la pensée que si l'on faisait des évêques, on serait excommuniés, et tout cela... Mais enfin, il faut se placer dans la situation telle qu'elle est actuellement.

 

 

 

« Il faut demander au pape »

Alors, on dira, puisque le pape existe, il faut demander au pape. Je lui ai demandé, puisqu'il me répond. Il me répond : « Non ». Il m'a répondu. Je lui ai demandé des auxiliaires. Il me dit non, on ne peut pas vous en accorder.

Pourquoi ? Quelle est la volonté du pape en disant non ? Quelle est sa pensée ? « On ne veut plus de Tradition. La Tradition, c'est fini. Il faut bien que la Fraternité, que Mgr Lefebvre comprennent que, cela, c'est terminé, on n'en veut plus. Alors, qu'ils ne viennent pas nous demander maintenant de faire des évêques qui vont continuer la Tradition. Cela n'est pas possible. »

Alors, bien sûr, je sais bien que les principes demeurent et que même les circonstances ne peuvent pas supprimer les principes. On va dire : « Mais enfin, c'est le pape qui doit nommer les évêques, c'est le pape qui a juridiction sur les évêques, c'est le pape qui doit donner la mission canonique aux évêques, donc l'apostolicité aux évêques, etc. » Je suis absolument d'accord. Je sais bien ; on peut apporter un livre entier de citations de Pères, de docteurs, de théologiens pour prouver cela. C'est tout à fait certain.

Mais je pense qu'il faut quand même distinguer entre les principes qui demeurent et auxquels nous devons adhérer, et puis la pratique qui a été suivie, historiquement, au cours de l'histoire. La concrétisation de ces principes a été très diverse. Et elle est encore, même maintenant, très diverse, suivant qu'il s'agit des Orientaux, qu'il s'agit de telle Église orientale, patriarcale, et ainsi de suite. Elle est encore diverse de notre temps ; mais elle l'était encore bien plus autrefois, surtout dans les premiers siècles.

 

On ne peut rien faire quand même contre le pape

On dira : « Cela ne vous dispense pas, même si les circonstances maintenant sont telles, cela ne vous dispense pas... On ne peut rien faire, quand même contre le pape ».

Alors, je réponds : Contre le pape qui agit en catholique, c'est vrai, on ne peut pas s'opposer à un pape qui, pour continuer l'œuvre de l'Église, nous refuserait des auxiliaires. Bien. Mais contre un pape qui démolit l'Église, qui est pratiquement apostat, et qui veut nous rendre apostats, alors je vous demande : qu'est-ce qu'il faut faire ? Faut-il renoncer à la continuité de cette oeuvre d'Église pour faire plaisir à quelqu'un qui ne veut plus de la Tradition, qui ne veut plus que Notre-Seigneur Jésus-Christ règne publiquement, qui nous conduit à l'apostasie ?

C'est ce que j'ai dit au cardinal Ratzinger. Parce qu'il m'a dit :

« Mais enfin, le pape est infaillible ! Vous ne pouvez quand même pas vous dresser comme cela contre le pape ! Vous allez être excommunié ! ».

J'ai dit :

« Infaillible, infaillible, entendons-nous ; l'infaillibilité est très restreinte. Mais je pense qu'il n'est pas contre les promesses de Notre-Seigneur Jésus-Christ que le pape, éventuellement, puisse, par une pastorale désordonnée, par une fausse pastorale, emmener les catholiques vers l'apostasie ». J'ai dit : « Ce n'est pas impossible cela. Il n'a jamais été dit que le pape ne ferait pas de choses qui sont contraires au bien de l'Église ».

Or, c'est le cas maintenant. Le pape fait une pastorale qui emmène les peuples dans l'apostasie. Cela est clair ; c'est absolument certain.

On ne peut pas s'imaginer le mal qu'a fait Assise dans les âmes... Incalculable, incalculable. Même parmi nos traditionalistes. Beaucoup ne croient plus à l'unicité de la religion. Ils croient vraiment que tout le monde peut se sauver par sa religion. Pas de problème. Et cela, c'est la faute du pape.

Par cet exemple - ils ont vu cela, n'est-ce pas -, ils sont vraiment trompés ; par cette prière, prière « pour la paix »... On nous dit : « Ils prient pour la paix », pensez donc, toutes ces religions ; c'est la première fois que l'on voit une chose comme celle-là, toutes ces religions réunies ; mais, regardez : quelle charité !...

Ils n'ont plus la notion de la vérité, ils n'nt plus la notion de la vraie religion.

 

« Le pape a été un peu choqué par votre dessin »

Alors, le cardinal Ratzinger m'a dit : 

« Vous savez, le pape, il a quand même été un peu choqué par votre dessin... » (C'est donc qu'il l'a vu !).

J'ai dit : 

« Si seulement cela peut sauver son âme, ce sera déjà quelque chose. Si seulement il peut sauver son âme ».

Mais, c'est vrai, qu'est-ce que vous voulez, il a été choqué ; c'est peut-être cela qui l'a fait réfléchir un petit peu et pour cela qu'il a fait moins de tam-tam autour de leur réunion de Kyoto. On n'en a presque pas parlé dans les journaux. Et pourtant elle a eu lieu, puisqu'il en a parlé à l'Angélus, je ne sais pas à quel Angélus sur la place Saint-Pierre. Il en a parlé, donc c'est que cela a bien eu lieu. Cela est passé inaperçu. Personnellement, je n'ai rien vu nulle part. Je ne sais pas si vous avez vu quelque chose mais, moi, je n'ai rien vu nulle part de cette réunion. Réunion qui est aussi abominable que celle d'Assise. C'est la même chose, c'est la répétition. Pour Assise, Dieu sait si l'on en a parlé dans le monde entier, n'est-ce pas. Mais là, qui sait tout de même s'il n'a pas réfléchi un petit peu et si nos remontrances, nos réclamations, nos supplications ne sont pas arrivées à ébranler un tout petit peu le Saint-Père ? Je n'en sais rien, je ne veux pas nous donner plus d'importance que nous n'en avons, mais, en tout cas, il est certain qu'il y a eu une grande différence entre ces deux manifestations, au moins pour la presse et pour la publicité.

 

A Rome, ils sont émus

Je pense qu'à Rome, ils sont émus, bien sûr. J'ai bien remarqué que le cardinal Ratzinger était un peu ému par cette éventualité de sacre d'évêques. Il a alerté beaucoup de monde, n'est-ce pas. Je crois qu'il a dû... je me demande si cette lettre n'a pas été envoyée même à tous les cardinaux et à tous les évêques. Parce que, pour que j'aie reçu une lettre d'un cardinal du Vietnam, je vous demande un peu, au sujet de la lettre que m'envoie le cardinal Ratzinger..., et puis une lettre de Mgr Mamie, dont vous avez sûrement entendu parlé.

Il est charitable, Mgr Mamie. Il a bon cœur. Alors, il m'a écrit : « Mgr, je vous renouvelle la demande que je vous avais faite il y a dix ans » et il m'envoie le double de la lettre qu'il m'avait envoyée il y a dix ans, en 1977, au moment des grands événements. Il me disait déjà en 1977 :

« Mais, Mgr, soyez donc humble, soyez donc généreux, ayez donc un grand cœur. Remettez toutes vos œuvres dans les mains du pape. C'est ce que vous avez de mieux à faire. Ne soyez pas attaché à ce que vous faites. Donnez tout à l'Église. Ce serait un si beau geste... » Alors, il m'a dit : « Je vous renouvelle ces mêmes propositions. Mgr, réfléchissez, voyons, de grâce ! Laissez donc toutes vos œuvres entre les mains du Saint-Père. Soyez assuré que je pense à vous. Vous aurez une villa à votre disposition. Vous serez sans soucis matériels jusqu'à la fin de vos jours... » - (Rires).

Voyez, je vous abandonne demain et puis je vais dans ma villa. Je ne sais pas où. Jusqu'à la fin de mes jours, je serai entretenu, par Mgr Mamie. Mais avant, quand même, peut-être que j'enverrai une délégation pour voir où est cette villa.

 

Lettre de Jean Guitton

J'ai reçu aussi de longues lettres de M. l'académicien Guitton. Lui aussi, il a reçu la lettre. Alors, lui aussi, me dit : « Il faut accepter, il faut accepter » ; mais cependant il ajoute : « Voilà la lettre que j'ai envoyée au cardinal Ratzinger ». Et dans sa lettre au cardinal Ratzinger, il fait des réflexions assez justes, il dit : « Voilà, quand même, vous savez, Éminence, votre lettre est bien, mais qu'est-ce qu'il va rester de l'autorité de la Fraternité ? » En effet, il ne restera pas grand-chose !

Voyez, même les laïcs sont au courant de toutes nos affaires. C'est assez amusant ! Alors, il m'envoie (ce qu'il écrit au cardinal Ratzinger) :

« Je pressens également les difficultés qui ne manqueront pas d'être soulevées et c'est pourquoi je me permets de vous suggérer quelques propositions et compléments qui ne remettent pas en cause l'économie générale de votre offre, (et) qui devraient favoriser une acceptation de la part du fondateur de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X.

1 - Il est évident que tout tourne autour de la mission que le Saint-Siège envisage de confier au cardinal visiteur. Or la personnalité de ce dernier jouera un rôle déterminant. Il me semble qu'il devrait être possible de trouver un accord préalable, au moins officieux, avec Mgr Lefebvre, sur la personne du cardinal visiteur. Je songe pour ma part au cardinal Siri qui vient de renoncer au gouvernement du diocèse de Gênes. Je le connais bien. Je pense qu'il ne risquera pas d'être récusé par Mgr Lefebvre. Je songe également au cardinal Gagnon.

2 - La mission confiée au cardinal visiteur, dans son articulation avec les fonctions exercées au sein de la Fraternité par ses responsables, demeure sur certains points un peu ambiguë. Qui aura le pouvoir d'ordonner les prêtres ? Le texte parle "d'ordinations sacerdotales sous la responsabilité...". Comment doit être compris et interprété le pouvoir de décision du cardinal visiteur en ce qui concerne l'admission des séminaristes au sacerdoce, etc. ? L'avis paraît donc, doit être obligatoire, mais doit-il être conforme ? Plus généralement, quel pouvoir est reconnu au cardinal visiteur pendant la période transitoire par rapport à l'autorité des supérieurs de la Fraternité ? »

Et ainsi de suite.

« Il conviendrait de fixer que les autorités, celle du visiteur et celles des supérieurs de la Fraternité, s'exercent conjointement. Enfin, l'acceptation par Mgr Lefebvre des propositions du Saint-Siège, ne devrait-elle pas comporter comme corollaire la levée des sanctions canoniques prononcées contre lui ? Un tel geste de mansuétude aurait sans conteste une grande portée. »

Donc, il voit bien un peu les difficultés, n'est-ce pas ?

 

Nous n'avons pas affaire à des gens honnêtes

Mais, je pense que, à mon sens, nous n'avons pas affaire à des gens honnêtes. C'est cela qui est terrible, nous n'avons plus affaire à des gens honnêtes. Autrefois, quand j'allais à Rome comme délégué apostolique, j'avais affaire à des gens honnêtes, à des gens qui voulaient le règne de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à des gens qui travaillaient pour le salut des âmes. Maintenant, ce n'est plus cela, ce n'est pas cela.

Ils ne travaillent pas pour le salut des âmes. Ils travaillent pour la gloire humaine de l'Église dans le monde, la gloire purement humaine. Ce rassemblement de toutes les religions, rassemblement de toutes les idéologies : le communisme, les francs-maçons, les juifs... Vous avez vu ces réunions, ces jours-ci, avec les juifs ? Il va les retrouver à New York, et tout cela...

C'est cela, une gloire purement humaine, purement humaine, abominable même, parce que c'est la vérité avec l'erreur, la vertu avec le vice, les amis de Notre-Seigneur avec les ennemis de Notre-Seigneur ; c'est une abomination, une abomination. C'est cela qui est à Rome maintenant. Ils ne pensent qu'à cela. Ils ne vivent que de cela.

Et derrière tout cela, des histoires financières véreuses, n'est-ce pas, véreuses... C'est ce que me disait un cardinal à Rome. Je lui disais : « Mais enfin, quel est un peu le leitmotiv qui tient tout ce monde-là, tout ce monde qui travaille, ici, à Rome ? » Il m'a dit : « Ça, Mgr, ça... » Il m'a fait le geste : ça, l'argent. Ils travaillent pour l'argent. Derrière tout cela, on peut imaginer tout ce qui peut se passer. Je vous cite ce cas ; j'ai eu l'occasion de le dire à ceux qui ont des hésitations encore sur Rome.

Je dis : 

« Je suis intimement persuadé que nous ne savons pas la moitié de ce qui se passe à Rome et si nous sommes déjà scandalisés par la moitié que nous savons, eh bien, pensons qu'il y a encore la moitié de plus. Si nous savions tout, nous serions épouvantés, épouvantés ».

 

Nous avons affaire à une mafia

Nous avons affaire vraiment à une mafia incroyable, invraisemblable, liée à la maçonnerie certainement, n'est-ce pas. L'abbé du Chalard nous aide bien dans ce domaine, parce que Si Si No No nous éclaire bien sur la situation à Rome et il en dit plus que moi encore, ce n'est pas peu dire. Oh, c'est abominable !

De très bonnes études, d'ailleurs, vraiment ; je félicite M. l'abbé du Chalard et tous ses collaborateurs, parce que ce sont des études bien faites, bien appuyées sur les textes de l'Écriture, sur la théologie. C'est serein. Ce n'est pas polémique. C'est très clair, c'est très net. Cela doit certainement, vous savez, tomber comme de bonnes pierres solides dans la Curie vaticane, à Rome. Parce qu'ils ne peuvent rien dire contre cela, rien dire. C'est quand même fort, qu'ils arrivent à supporter des choses comme cela, des journaux comme cela, de même qu'ils arrivent à supporter nos lettres. Ils ne peuvent rien y dire. Ils ne peuvent pas répondre. C'est fort. Il devrait y avoir, normalement, dans un journal romain, à chaque fois que paraît Si Si No No, une contradiction de Si Si No No, pour contredire ce qui a été dit. Non, jamais, jamais rien. Ils ne peuvent pas, ils ne peuvent pas contredire. C'est grave quand même cela ! C'est très très grave !

Il faut prier : on n'est plus dans l'Église catholique.

Enfin, je pense qu'il faut prier.

Je ne sais pas évidemment... Il y en a qui demandent : « Monseigneur, quand est-ce que vous allez faire cela ?

– Je ne sais pas.

– Qui vous allez faire évêque ?

– Je ne sais pas non plus. C'est encore dans le secret. Je n'en sais rien. »

On verra bien ce que le bon Dieu inspirera au moment où il faudra le faire, si toutefois je dois le faire. Je l'ai même demandé au bon Dieu ; voyez, je ne suis pas attaché particulièrement à faire ces consécrations épiscopales, ne croyez pas. Notez que j'en ai déjà fait, des consécrations épiscopales. J'en ai fait trois déjà, n'est-ce pas :  Mgr Guibert, Mgr Dodds et Mgr N'Dong. Donc, trois évêques que j'ai déjà consacrés. Si je consacre des évêques, je les consacrerai exactement dans la même intention et dans les mêmes dispositions que j'ai consacré ces évêques-là.

Bien sûr, ces évêques-là avaient un mandat romain. C'est clair, c'est évident. Mais enfin, je pense que, dans les circonstances actuelles, on peut penser au mandat que donnera le pape à sa conversion, ou le pape qui suivra, le pape qui retournera à la Tradition. Car il est impossible que Rome demeure en dehors de la Tradition indéfiniment. C'est impossible. Le bon Dieu permettra un jour le retour, avec leurs successeurs. Pour le moment ils sont en rupture avec leurs prédécesseurs, ils sont en rupture avec leurs prédécesseurs. Ils n'acceptent plus les encycliques depuis Mirari vos jusqu'à Humani generis du pape Pie XII ; les encycliques, ils ne veulent plus les considérer. Ils ne veulent pas en tenir compte, n'est-ce pas. Alors, cela n'est pas possible, quand même ! On n'est plus dans l'Église catholique. Le jour où le pape reviendra à la Tradition, il est clair qu'il ne pourra s'appuyer que sur la Fraternité et sur ceux qui travaillent comme la Fraternité, sur ceux qui ont les pensées et les principes de la Fraternité, enfin des catholiques, quoi. S'il veut reconstruire l'Église catholique, où va-t-il trouver les appuis ? Où ? Cela est obligé, c'est impossible autrement. Ce n'est pas pour nous vanter, ce n'est pas pour vanter la Fraternité, mais, qu'est-ce que vous voulez, c'est comme cela, c'est un fait.

C'est pourquoi, il faut avoir confiance. Si le bon Dieu ne veut pas que je fasse des évêques, je Lui ai demandé, eh bien, qu'Il me fasse mourir avant. Mon caveau est prêt ! Ce n'est pas difficile, je n'ai pas loin à aller. Ce n'est pas difficile pour le bon Dieu de me faire mourir avant. Je peux être assassiné. Je peux avoir un accident de voiture. Je peux avoir n'importe quoi, ce n'est pas difficile, une maladie quelconque. On verra bien.

Alors priez, et continuons à prier. Comptons quand même sur Notre-Dame de Fatima. Je crois que le pèlerinage que nous avons fait à Fatima a fait beaucoup de bien, et puis a été vraiment une consolation pour tous ceux qui ont été présents là-bas, c'était vraiment une belle chose. Nous sommes de nouveau consacrés à la très sainte Vierge, et puis même la Russie, et enfin le monde entier.

Alors, espérons que la très sainte Vierge va nous dévoiler ce mystère qui se trouve derrière la situation que nous constatons, mais dont nous ne connaissons pas La clé de ce mystère : pour le bien des âmes, pour que l'Église retrouve sa Tradition. C'est pour cela, ce n'est pas pour autre chose, pour la gloire du bon Dieu.

 

† Marcel LEFEBVRE

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