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« A chaque jour suffit son mal. »

Mt 6, 34

Les articles qui vont suivre, échelonnés sur quelques semaines, ont pour objet « L’instant présent ».

Pensant qu’ils peuvent aider les fidèles dans l’arène du monde, je les confie au site « Saint Joseph ».

Abbé Dominique Rousseau

Avent 2019

1 - Quelques généralités sur l’instant présent

Sans cesse à la course pour échafauder mille et un projets, nous finissons par en perdre le souffle et partant, nous sommes épuisés.

Voici quelques considérations sur l’instant présentIl correspond si bien à l’esprit évangélique, recentrant nos esprits et nos cœurs en face de l’unique nécessaire, opposé au multiple accessoire : « Marthe, Marthe, vous vous inquiétez et vous agitez pour beaucoup de choses. Une seule est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, qui ne lui sera point ôtée. » Lc 10, 41-42

Notre Seigneur Jésus-Christ insiste dans l’Évangile sur l’abandon de notre existence dans les mains de la Providence divine. La parole du Maître est abondante sur ce sujet précis. C’est une grande partie du Sermon sur la Montagne qu’il conviendrait de citer ici. N’hésitons pas à nous y reporter, en méditant ces passages (Mt 6, 19-34). C’est d’ailleurs le dernier verset qui va guider nos pas dans ces quelques lignes. Déjà les Hébreux se souciaient du lendemain. Il faut dire que ce n’était pas simple pour eux : vivant dans le désert, sans gîte ni nourriture assurés, ils s’inquiétaient et se révoltaient même. Moïse qui les conduisait vers la Terre promise craignait pour sa vie et il y avait de quoi : le peuple élu avait la nuque raide. Ils regrettaient l’oppression égyptienne, pour des bagatelles : des oignons et des cœurs d’artichauts ! Combien le cœur de l’homme s’attache-t-il à des futilités... Condescendant à leur faiblesse, Dieu donna aux Hébreux une nourriture mystérieuse, symbole de la sainte Eucharistie (Jn 6, 49-50). Cette nourriture les sustenta chaque jour pendant 40 ans (Ex. 16, 16-36). Quelques-uns ne croyaient pas cette nourriture suffisante pour une journée. Aussi firent-ils des provisions, mais Dieu les punit : les vers s’y installaient et le tout devenait infect, dit la sainte Écriture. L’exemple de la manne nous montre que Dieu donne ce qu’il faut et quand il le faut, tant en quantité qu’en qualité.

N’imitons pas non plus la femme de Lot qui, devant quitter Sodome et Gomorrhe, se retourne... et devient statue de sel ! Il fallait quitter ces villes dévoyées. Elle le fait tout en regrettant de partir, ou curieuse de voir le sort de ces villes. Quand il faut avancer, ne nous retournons pas... « Celui qui met la main à la charrue et qui se retourne en arrière, n’est pas propre au Royaume de Dieu », enseigne le Maître divin (Lc 9, 62).

Dans la seule prière que le Christ nous ait apprise (Mt 6, 10-13), nous y lisons ces paroles qui sont de nature à apaiser nos inquiétudes fébriles voire maladives : « Donnez-nous aujourd’hui notre pain quotidien ». Notre-Seigneur veut nous éduquer à une confiance sans borne. Il ne s’agit pas de faire des provisions pour un mois, une semaine, même pour quelques jours. Une journée, c’est tout et pas plus. Nous sommes ainsi faits : de la même façon que nous ne pouvons porter des fardeaux trop lourds, ainsi notre nourriture est assurée pour un jour et pas pour deux. Nous communions en effet une fois le jour et pas à chaque messe à laquelle nous pourrions assister dans la même journée. Et ce Pain divin est suffisant, jour après jour. Il est nécessaire aussi, bien sûr, car sans cette Nourriture, que deviendrions-nous ?

Ce pain quotidien est d’ailleurs la seule demande (sur les sept du Pater) où Notre-Seigneur nomme les choses matérielles. Toutes les autres demandes se situent sur le plan spirituel. Il veut nous apprendre par là à ne pas placer dans le temporel toutes nos affections, tous nos désirs, toutes nos… inquiétudes !

L’apôtre saint Jacques, fidèle disciple de Notre-Seigneur, enseigne expressément cet abandon dans les mains de Dieu : « Et maintenant, vous qui dites : Aujourd’hui ou demain nous irons dans telle ville ; nous y passerons une année, nous trafiquerons, et nous ferons des profits ; vous qui ne savez pas ce qui arrivera demain. Car qu’est-ce que votre vie ? C’est une vapeur qui paraît pour un peu de temps, et qui ensuite s’évanouit.  Vous devriez dire au contraire : Si le Seigneur le veut, ou : Si nous vivons, nous ferons ceci ou cela. » (Jac. 4, 13-15)

En achevant aujourd’hui ces considérations générales, voici quelques lignes d’un guide spirituel assuré, Dom Chautard :

« Dites à Dieu que vous voulez que chacune de vos aspirations et respirations, que vous ferez lentes, profondes et conscientes, soient autant d’actes d’amour, d’appels pressants vers lui et un don de vous-même de tous les instants.

Chaque volition divine est comme une flèche d’amour, teinte du sang divin, et qui part du sein de la divine Trinité vers notre cœur. A chaque instant nous percevons cette volition, et la flèche en se présentant à notre intelligence et à notre cœur, porte avec elle une lumière et une force, la grâce du moment présent qui nous fait communier avec cette divine volonté. Vivre au moment présent est si agréable à Dieu ! A chaque seconde nous pouvons dire : Je fais ce qu’il y a de plus parfait, puisque je fais ce que Dieu veut, comme il le veut et parce qu’il le veut. »

2 - « Et dixi : nunc cepi. » Ps. 76, 11

« Et j’ai dit en moi-même : maintenant je ne fais que commencer. »

La doctrine de la grâce de l’instant présent trouve sa racine en Dieu lui-même, dont le Nom se décline au... présent : « Je suis Celui qui suis », dit Dieu à Moïse dans le Buisson ardent. Dieu n’est ni hier ni demain, Il est le Dieu du présent. Le seul temps de conjugaison que Dieu connaisse est celui du présent de l’indicatif. La leçon est facile à apprendre et à retenir !

Lorsque nous vivons dans le passé, nous nous égarons : nous ressassons par exemple de vieilles querelles ou rancunes, ou nous nous lamentons des échecs ou péchés passés mais pardonnés ; à l’opposé, nous nous nous projetons dans le futur et nous rêvons, en bâtissant des châteaux en Espagne, ou ailleurs !

Tâchons de vivre au présent, en nous attachant à Jésus-Christ. C’est en effet une constante chez les auteurs spirituels que de penser en permanence à cette vérité. C’est plus même qu’une pensée : « Pour moi, vivre c’est le Christ », chante saint Paul (Phil. 1, 21).

En s’appuyant sur les Pères du Désert et sur saint Augustin, saint Bernard et tant d’autres saints, le Père Rodriguez, dans son ouvrage Perfection chrétienne, développe la spiritualité nourrissante de l’instant présent, car la grâce divine est donnée à l’âme assoiffée de Dieu sans interruption.

Si vous trouvez les volumes du Père Rodriguez, je vous conseille fortement de les acquérir... sans omettre bien entendu de les lire et méditer ! Vous aurez dans les mains et sous les yeux une richesse, un trésor.

Afin de nous aider à vivre dans la grâce de l’instant présent, au fil des semaines qui viennent nous découvrirons quelques pensées d’auteurs spirituels. Vivant dans ce monde, ils peuvent influer sur lui car ce ne sont pas les maximes du monde qui les animent, mais bien plutôt, ancrés sur la Parole de Vie qu’est l’Évangile, ils sont comme des aigles planant largement au-dessus des brouillards de la plaine. L’air qu’ils respirent est pur. La méditation de la Vie de Jésus les a façonnés. Respirons donc à pleins poumons ! Nous serons étonnés de la puissance en nos vies du saint Évangile.

R.P. Calmel O.P. (+ 1975) : Si ton œil est simple (extraits)

« Si l’éternité est une réalité, si l’on est fait pour l’Amour éternel, cela veut dire, du point de vue de l’action, que l’on sera pauvre, que l’on aura renoncé à ses projets, à sa volonté. C’est Dieu qui est maître du temps et du devenir et Il ne le veut que pour l’Amour Éternel et c’est Lui seul qui sait y faire passer, qui peut y inscrire l’Amour. C’est à cette action, en définitive, que l’on doit coopérer ; on ne le peut qu’à la condition de vivre dans le temps uni à Lui, c’est-à-dire d’être pauvre de son action, pauvre de l’avenir et des résultats. Non pas que l’on soit sans projets, mais on les a remis dans les mains de Dieu et l’on vit à l’instant présent. Cette mystique du moment présent, en apparence contraire à la vie active, qui est nécessairement « prospective » et pleine de projets, garde cependant toute sa portée dans l’action : elle y signifie pauvreté. Il ne s’agit pas d’avoir peur d’écrire dans le temps et de se retirer de l’action ; les Saints ont écrit dans le temps (et non seulement dans l’éternité). Il ne s’agit pas non plus d’être un orgueilleux qui cherche son œuvre propre ; il s’agit d’écrire dans le temps comme un ami du Seigneur, comme un chrétien qui, dans l’action (et en toute chose) est pauvre et dépouillé de soi. »

3 - Instant présent et vertu d’espérance

Regarder bien haut dans le Ciel où est Notre Seigneur Jésus-Christ, ne pas mettre sa confiance en soi mais au contraire en Dieu qui pourvoit à tout pour notre bien et faire tout ce qui dépend de nous pour assurer notre salut éternel, voilà résumée en quelques mots la vertu de l’espérance chrétienne.

Par cette vertu, notre point d’ancrage, notre unique appui se situe dans et sur le Christ. Nous voulons tant tout prévoir, tout dominer, tout « gérer », selon un mot bien à la mode qui fait davantage penser au marché (marchandage ?) qu’à l’abandon dans les mains divines. En réalité, nous sommes bien petits, indigents et faibles : qui peut en effet dire le temps que durera son existence sur terre, le temps qu’il fera demain (avec une certitude infaillible) ? Personne ne le sait. Il faut nous en remettre à Dieu, pour tout. La vertu d’espérance nous place ainsi dans la certitude qui ne peut être ôtée, par qui que ce soit : Dieu est, Dieu veille sur nous et il nous aime. Les preuves sont multiples et éclatantes. Il faudrait ici citer toute la Sainte Écriture. Les pages sont remplies de ces événements qui manifestent la conjonction entre l’action humaine et le soutien divin. Les deux sont intimement liés et nous montrent que, justement, l’espérance est le résultat de cette précieuse alliance : Dieu et l’homme. Celui-ci fait avec droiture son devoir d’état et le Bon Dieu le soutient dans son labeur généreux et quotidien.

C’est là que nous retrouvons notre cher instant présent. Dieu donne sa grâce à ceux qui s’abandonnent en tout à Lui. Ils vivent aujourd’hui, non pas hier ni demain. Les temps sont-ils difficiles ? Dieu pourvoit en tout temps, sa grâce est pour aujourd’hui car hier n’est plus et demain n’est pas encore.

Cette vie dans le culte de l’instant présent nous place dans une immense paix intérieure. C’est, je crois, ce qui fut le secret de la joie dont rayonnait Monseigneur Lefebvre. Joie d’avoir fait son devoir d’état dans des temps troublés. Qui ne se souvient de cette joie paisible qui fut la sienne une fois que les sacres épiscopaux furent réalisés ? L’archevêque vivait de cette vertu d’espérance, où l’âme chrétienne place le sommet de ses aspirations non en elle-même mais en Dieu seul. Vertu faite de force et d’abandon, de confiance en Dieu qui n’abandonne pas celui qui ne se confie pas dans ses propres forces mais en la puissance souveraine de Dieu.

Ah ! que nous sommes souvent pusillanimes, craintifs, doutant en définitive de Dieu. Nous sommes comme Pierre sur la barque tandis que la tempête fait rage. Il doute de Dieu. Mais il trouve quand même le courage (du marin désespéré...) de crier : « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons ! ». Notre-Seigneur l’a repris en lui montrant son peu de foi, mais Pierre a eu gain de cause. Faisons cette prière, nous serons exaucés, sans aucun doute : « Et il se fit un grand calme ». Nous pouvons appliquer ces mots à toutes les situations politiques et surtout, pour ce qui nous concerne, ecclésiales. Le Bon Dieu veut nous montrer que la solution ne réside pas dans nos vues trop courtes (myopes), mais dans sa Toute-Puissance : « Notre secours est dans le Nom du Seigneur ».

Si nous vivons pleinement cette grâce puissante de l’instant présent avec tout ce qu’elle comporte, notre vie sera ensoleillée. À tout moment Notre-Seigneur sera avec nous, il nous guidera, il nous comblera de sa présence forte et suave. 

Lisons lentement et méditons ces mots de Mgr de Ségur :

« Portez doucement, chaque jour, la croix de chaque jour.

Gardez la paix du cœur au milieu de vos secousses. Ne vivez point dans l’avenir, car c’est contraire à la règle de notre Sauveur et c’est très imprudent : par l’imagination on se charge d’avance de la Croix ; et comme Jésus crucifié ne donne jamais sa grâce qu’au jour le jour, il en résulte qu’on a la Croix sans la grâce, le fardeau sans le soutien, la souffrance sans Jésus.

Vivez, souffrez au jour le jour avec la grâce d’aujourd’hui. »

4 - Instant présent et éducation

Pour agir en profondeur sur les âmes de ceux vers lesquels son labeur va s’exercer, l’éducateur doit avoir le souffle long. Rien ne se fait en un jour dans ce domaine délicat.

Afin de ne pas s’égarer, son modèle est bien sûr Notre Seigneur qui fut le meilleur pédagogue de tous les temps, lui dont l’Évangile est le guide assuré du maître sur terre. On peut prendre aussi pour image celle du cultivateur. Celui-ci se hâte avec méthode et donc posément : il sait qu’il ne fera rien sans le temps et il agit en fonction des saisons. La patience est la vertu maîtresse du paysan. Il agit dans le temps… présent. Un temps pour tout et chaque chose en son temps.

L’éducateur agira de la sorte. Il faut répéter sans cesse les mêmes vérités, savoir que ce qu’il a semé dans l’intelligence des enfants mûrira doucement, qu’il faudra reprendre après des vacances ce qui a été étudié plusieurs fois sans doute (et l’élève vous répète qu’il n’a jamais vu telle ou telle chose !). Patience…

L’éducateur doit être prêt aux échecs, aux déceptions, à verser des larmes. Il faudra que la crise de l’adolescence passe. Et, une fois passé ce cap difficile mais nécessaire, les vérités apprises mais pas comprises alors s’installent dans la volonté (puisqu’elles sont déjà dans l’intelligence). Quel est l’adulte qui n’ait pas constaté cela ? 

Nous voudrions brûler les étapes, et la nature humaine, comme celle des plantes, ne peut aller plus vite. Un garçon de 11 ans avait naguère planté des semis de radis. Dans sa hâte de voir des résultats, il arracha ses plantations avant de voir ses radis parvenus à maturité… On n’a jamais vu les dits radis ! C’était dû à la hâte impatiente d’un enfant bien sûr. Mais pour nous, adultes, sachons attendre l’heure opportune : « Doucement, nous sommes pressés », disait saint Jean Bosco. Combien ce grand éducateur avait raison !

On ne peut demander à un enfant d’être adolescent, ni à un adolescent d’être adulte. Respectons l’ordre voulu par Dieu qui nous a montré l’exemple : Jésus a connu les différentes étapes de la vie, de l’enfance à l’âge adulte. En tout il est notre Modèle et c’est pour nous éduquer qu’il a fait ainsi et pas autrement. Le maître mot est donc : patience en tout. Tout arrive à qui sait attendre, dans l’unique mesure où il est uni à Dieu !

Apprenons aussi à nos enfants à faire maintenant ce qu’ils doivent faire, et ne pas remettre à plus tard  leur travail car cette façon de faire s’appelle la… paresse ! Et c’est si fréquent…

Méditons ces pensées d’un bon et saint prêtre, qui fut professeur et directeur d’âmes au Séminaire  d’Ecône, après avoir longtemps prêché dans des maisons religieuses :

 

« Mon instant préféré ? L’instant présent. C’est un instant solennel :

une Hostie s’élève, un calice déborde, une Messe est dite... le monde est sauvé

              Vierge Marie, aidez-moi à vivre en plénitude

                            d’Amour,

                                         d’Abandon,

                                                      de Joie,

                                                                   d’Offrande,

            cet instant présent. »

R.P. Joseph Le Boulch (+ 1988)

Faisons confiance à la puissance de la grâce divine, qui peut tout dans des êtres faibles, dans la mesure où, justement, ils croient et espèrent en Dieu qui vit au présent éternel. C’est son Nom et il veut que nous lui ressemblions, nous qui sommes des êtres d’éternité.

5 - Pensées glanées au cours de lectures

Bossuet (Méditation sur l’Évangile, 32ème jour)

« Ce précepte, si important pour les soins de la vie, l’est encore plus pour les affaires du salut. Il y en a qui se tourmentent en disant : Voilà qui est bien : je me suis confessé, j’ai commencé à me convertir ; mais que de peines viendront dans la suite ; que de tentations, que d’ennuis ! Je n’y pourrai résister : la vie est longue ; je succomberai sous tant de travaux. Allez, mon fils ; allez, ma fille ; surmontez les difficultés de ce jour ; ne vous inquiétez pas de celles de demain : les unes après les autres, vous les vaincrez toutes. ‘A chaque jour suffit son mal.’ Celui qui vous a aidé aujourd’hui ne vous abandonnera pas demain ; trop de prévoyance et d’inquiétude vous perd. » 

Padre Pio

« Ne perdons pas notre temps. Il ne faut pas remettre au lendemain ce que l’on peut faire aujourd’hui ; les tombeaux débordent de bonnes intentions… et d’ailleurs, qui pourrait nous dire si nous serons encore en vie demain ?

Écoutons la voix de notre conscience : c’est la voix du prophète : Aujourd’hui écouterez-vous la parole du Seigneur ? Ne fermez pas votre cœur… (Ps 94, 7-8)

Nous ne possédons que l’instant présent : veillons donc, et vivons-le comme un trésor qui nous est donné.

Le temps ne nous appartient pas, ne le gaspillons pas.

« Mes frères, nous n’avons encore rien fait jusqu’à maintenant : commençons donc dès aujourd’hui. » C’est à lui-même que saint François de Sales adressait cette exhortation, humblement : en ce début d’année, faisons-la nôtre.

C’est vrai, nous n’avons encore rien fait, ou si peu ! Les années se sont succédé sans que nous ne nous soyons demandé ce que nous avons bien pu en faire ; n’y avait-il donc rien à modifier, à ajouter ou à retrancher dans notre conduite ? Nous avons vécu avec insouciance, comme si le jour ne devait jamais venir où le Juge éternel nous rappellera à lui, et où nous devrons rendre compte de nos actions et de ce que nous aurons fait de notre temps.

Et pourtant, c’est de chaque minute qu’il nous faudra très précisément rendre compte, de chaque grâce, de chaque inspiration de l’Esprit, de chaque occasion de faire le bien qui se sera présentée. La plus légère transgression de la Loi divine sera prise en considération ! »

Dom Guillerand – Silence cartusien

Il y a deux manières de vivre au présent

« Il faut se tenir dans le moment présent. Mais ce moment présent doit être réparation du passé dont il est fait et préparation de l’avenir dont il est riche.

Le présent qui n’est pas lien de passé et d’avenir, qui ne se soude pas l’un l’autre, n’est pas. Le présent ou il faut se tenir n’est pas ce néant insaisissable et perpétuellement aboli avant d’exister, que nos esprits créent sans cesse pour donner un aspect d’immobile à ce qui passe. Il est la trame profonde sur laquelle court le mobile, qui lui donne une fixité en lui permettant de participer à la sienne, qui lui donne et son être et sa réalité. Ce qui passe n’est que parce que relié à ce qui demeure. Le présent qu’il faut oublier et quitter sans cesse, c’est le néant qui passe.

Il faut se tenir dans ce qui demeure pour juger de là ce qui passe, et laisser tomber le néant et en retenir l’éternel. »

Frère M. Colin, mariste : « Saint Joseph, l’homme juste »

Le calme évangélique

Le père de Jésus pouvait-il s’expliquer, justifier à ses propres yeux, les circonstances qui accompagnent l’Incarnation, la pauvreté de la naissance, la fuite en Égypte, la vie cachée se prolongeant sans que rien ne fasse prévoir la révélation au monde du Messie ? En face des imprévus des choses qui nous dépassent, nous sommes décontenancés, fébriles, pris au dépourvu. Joseph est resté simple, patient, sans frayeur. Il a une foi vivante qui tempère ses réactions et met la paix dans sa vie. Il vit de la foi, Joseph, l’homme juste ; saint Paul nous le dit : « Le juste vit de la foi » (Gal. 3,11). Quant à nous, l’imagination nous emporte ; de là, nous peurs et nos vertiges.

Un point sur lequel il y a lieu d’insister, c’est l’éducation de notre imagination. Joseph prend la vie simplement, parce que sa foi jugule son imagination. Nous trouvons, nous, la vie compliquée, parce que notre foi est moins vivante que notre imagination laquelle grossit, assombrit et trouble tout. La foi, source de paix ; l’imagination, source d’inquiétude.

Et l’artisan de Nazareth nous donne une très saine leçon d’éducation. Il prend les choses comme elles arrivent : quelle simplicité dans sur l’acceptation des ordres de l’ange !

Ne laissons pas courir notre fantaisie la bride sur le cou, mais jugeons le tout avec foi. Ne cherchons pas à nous évader du présent, pénétrons-le, possédons-le par la foi en Dieu, notre Père. Vivons au présent.

Jésus, par des images saisissantes, nous a donné cette leçon : les cheveux de notre tête sont comptés, les lys des champs ne sont pas indifférents à Dieu, les oiseaux du ciel ont leur nécessaire ; il ne pouvait pas, non ce n’est pas possible, donner de tels enseignements sur la confiance et le calme sans songer à son père nourricier. Joseph est le vivant modèle de cet abandon à la Providence que nous a demandé le divin Maître, de ce calme évangélique, fruit des vertus théologales.

 

La prière du cœur

 

Qu’est-ce que la prière du cœur ? C’est celle qui exprime intérieurement l’aumône l’amour que l’on a pour le Bon Dieu sans même avoir de pensées particulières sur tel sujet, telle perfection du Bon Dieu, telle manifestation de la charité de Dieu envers nous.

 

Mais tout, simplement aimer Dieu, exprimer notre amour au Bon Dieu. Elle ressemble un peu à un enfant dans les bras de sa mère, à ce qu’il peut avoir dans son cœur pour son papa ou sa maman. Il est heureux. Il est dans les bras de son père, de sa mère. Il ne pense pas à autre chose. Il ne pense qu’à aimer ses parents. Eh bien, nous aussi nous devrions avoir cet amour profond et constant pour le Bon Dieu.

 

Et cette prière est la plus agréable au Bon Dieu, parce qu’elle nous met à sa disposition.

Nous nous offrons par le fait même à Dieu. Nous offrons notre corps, nous offrons notre volonté, nous offrons notre temps et tout ce que nous sommes, à Celui qui nous a créés, à Celui qui nous attend, pour nous donner ce bonheur céleste qu’Il a préparé pour nous.

 

Et c’est le meilleur moyen de ne plus pécher, du moins de ne plus pécher gravement. Celui qui aime vraiment le Bon Dieu donne son être et tout ce qu’il est au cours de la journée et tout le temps.

 

Cette prière du cœur peut exister toujours, sans arrêt. De même qu’un enfant qui aime ses parents, ils aiment toujours dans une continuité parfaite, nous aussi nous devrions aimer de cette manière le Bon Dieu.

 

Monseigneur Marcel Lefebvre, 17 février 1991

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